Ce matin-là .... Fabio
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EXTRAIT

Le bruit augmente encore, assurément, un incident fortuit et indéterminé se prépare. À ce moment précis, une forme indistincte pointe sur le côté dans un boucan proche de son paroxysme. Le vent semble s'être levé aussi, ou alors un souffle, mais qu’est-ce qui se passe ? En un instant, Axel, l’aîné du groupe, commence à comprendre. Une moto blan-che devenue incontrôlable, se déroute sur eux, jaillit et chute. Le pilote gît à présent quelques mètres plus bas, éten-du sur le sol, inanimé. 
Axel, terrorisé et hagard, jette un regard furtif, balayant l’horizon, il fait un premier constat. Il ne se croit pas touché ; son copain le plus proche, lui, manifeste ostensiblement son traumatisme. Sa tête ensanglantée laisse apparaître des blessures notables et sérieuses. Les dégâts inéluctables per-cent, il enfle seconde après seconde. Son nez coule abon-damment, une encre rougeâtre se déverse sur sa face tuméfiée ; la terreur l’inonde et ses traits se figent. Une ex-pression singulière dans ses yeux renvoie son hébétude et son incompréhension. Il n’identifie pas aussitôt l’ampleur du drame. 
Axel cherche son frère, scrutant la butte de sable avec attention, son environnement figure indistinct. Un corps éten-du à proximité de lui et en position latérale, réside inerte. Il s’en approche avec effarement. Il ne sait pas, ne sait plus, s’approche encore, un peu plus près et prend conscience de la difformité du visage. Qui est-il ? Il semble avoir perdu un œil, enfin il le pense ou il ne pense plus. Les cheveux collés du pauvre garçon, dévoilent une plaie à la tête, du sang s’écoule sur les cailloux, impossible de le reconnaître et pourtant c’est bien lui. Bien sûr que c’est lui ! 
— C’est mon frère ! hurle-t-il. 
Il est 17h35, à partir de ce hasard funeste la vie de Fabio va être bouleversée, la vie de ses frères et sœur ébranlée et celle de ses parents détruits. Dès lors, le temps va s’arrêter et impacter une famille entière. Pour une période difficile à déterminer, cette famille va subir avec son petit garçon bles-sé, le pire, le basculement et l’horreur. 
— Qu’est-ce qu’il faut faire !... J’ai peur, aidez-moi, aidez-le, aidez-nous ! hurle-t-il encore en ne retenant plus ses larmes. J’ai peur, qu’est-ce qui se passe, c’est mon frère… Il est mort, mon frère est mort ! 
L'épouvante atteint son apogée. 
Le responsable de course se met à siffler et siffler davan-tage, il atteint la limite de ses forces et constate aussitôt l'ampleur du drame. Il tente démuni, d’arrêter les coureurs, craignant que d'autres victimes n'adviennent, dévoile son impuissance, surtout son inexpérience, trop tard pour rai-sonner ! 
Le silence s'installe inopinément, plus de bruit de moteur ni de pétarade ; seuls les cris, les pleurs et les râles, supplan-tent désormais le boucan initial. 
Un homme s’approche de Fabio, s’identifie comme pompier et dispense les gestes élémentaires de secours. 
— Petit ! Est-ce que tu m'entends ! … Hé gamin, reste avec nous ! Tu comprends ce que je dis. Je suis pompier et je vais t'aider, ne t'endors pas, petit ! 
Il colle son visage contre sa figure, apprécie son souffle, prend son pouls et contrôle sa latéralité. Enfin il établit un bilan préliminaire, constat alarmiste. 
— Cet enfant est vivant, crie-t-il, il est très gravement touché. Que quelqu'un reste à ses côtés, lui parle et lui tienne la main. Puis, s'adressant à un volontaire : Gardez le contact et surtout ne le déplacez pas. 
Cet homme observe ensuite autour de lui, évaluant des blessés probables supplémentaires. Très vite, il recense un enfant dissemblable au précédent : Il s'agit de Jona. Le père se tient près de lui, il prodigue des soins d'extrême urgence, quasi dépourvus d'espoir. Le jeune ne respire plus, des ren-forts se joignent à lui. Devant son corps inanimé, ils s'apprê-tent à le ventiler, geste communément appelé « bouche-à-bouche ». 
Axel, désemparé, se rapproche de son copain Alexandre, tentant de l'aider de son mieux. Son état de choc s’accroît. Ses jambes lâchent, ses mains tremblent et les sanglots l'étranglent. Il voudrait hurler, mais n'y arrive pas, comme paralysé, anéanti. Du drame à la stupeur, la scène fond dans l'irréel. Les enfants manifestent des peurs insoupçonnées, les mères s'effondrent, cédant à la panique, puis tempêtent de-vant ce déferlement d'horreur. 
Un homme erre cependant, hagard, délirant au milieu du circuit, étreint de responsabilités. Celui-la même qui avait laissé entrer les victimes un peu plu tôt. Il graille et balbutie des bribes de phrases distinctes, audibles. 
— J'ai tué les gosses, c'est ma faute, c'est moi qui les ai autorisés à rentrer ! répète-t-il sans cesse. 
Malheureusement ce sentiment de culpabilité ne change-ra rien, l'irréparable est atteint. Nous voilà au front, en pre-mière ligne et au cœur du combat. Saut dans l'antre du sacrifice, où des hommes sont tombés et tapissent à terre. Là, nous évoquons des enfants, nos enfants que la déraison a envoyés sur le chemin de la mort. Peut-être n'en revien-dront-ils jamais ou alors meurtris, marqués. 
Face à l'ampleur des dommages et à la détresse corporelle de Fabio et Jona, la compagne du propriétaire de ce circuit de moto, monte dans son véhicule. Elle file d'une allure pa-nique en direction de notre ferme encline à nous alerter. Tremblante, chevrotante, fataliste, elle klaxonne, hèle mon nom et emploie les moyens dont elle dispose pour m'alar-mer. Très vite, je sors de la maison et me dirige vers elle, dubitatif, incrédule devant ce raffut. Après m'avoir exposé la situation critique teintée d'ignorance et de stupeur, je m'ef-force de comprendre et d'en savoir davantage. 
— Mais qu'est-ce qui se passe ? Qui est blessé ? Est-ce que c'est grave ? 
— C'est Fabio, c'est très grave ! C’est très très grave ! me répond-elle d’un trait. 
De multiples questions s'ensuivent, elles fusent de ma bouche, ma tête éclate. Déjà dans sa voiture et en partance vers le lieu de l'accident, nous fulminons. Une minute à peine et nous voilà sur place. Mon ventre se tord de douleur, mon cœur s'accélère et ma gorge se noue. Un million de choses tempêtent en moi, d'autres défilent devant mes yeux, les pensées les plus horribles me tenaillent. Mon ressenti à ce moment précis paraît indescriptible, un amalgame d'irréel et d'impossible. 
Je m’extirpe de cette carcasse roulante et foule le circuit. Je cours, usant de mes forces et rallie l'emplacement hostile. Les spectateurs m’indiquent de concert le secteur inconsé-quent. Aussitôt, j’aperçois Axel assis par terre aux côtés d’Alexandre et accompagné d'une personne que je ne connais pas. Elle concède à son tour un état de choc indé-niable. Le ko prévaut, la représentation est inénarrable s'ap-parentant aux suites immédiates d'un attentat. Je m’enquis de l’état de mon grand garçon, et mis à part son effroi appa-rent, rien ne laisse transparaître de dommage ou de blessure. Il définit la position de son frère avec dédain et d'emblée ma vision dépasse mon imaginaire. Un constat d’horreur et d’épouvante, au-delà de tout ce qu’un père peut supporter. Mon fils se trouve là, allongé, jonché sur les cailloux, ina-nimé. Ses pieds bordent un dévers en haut d'une pente et sa tête bascule en contrebas. Son visage est tuméfié, souillé, défoncé par un télescopage, a priori d’une infinie violence. Je pressens le pire, confusément j’approche ma joue de sa bouche pour identifier un souffle, il respire toujours. Un léger filet d’air tiède s’échappe de ses poumons. 
— Mon fils est vivant, vite prévenez les secours ! Il est très faible, les pompiers, un docteur, vite !  
— Les secours ont déjà été prévenus, monsieur ! Ils ne tarderont plus maintenant, me crie une voix inconnue et abstraite.  
Je me tiens près de lui, je lui parle sans cesse, sûrement a-t-il déjà été mis en position de sécurité. 
Le temps s'écoule doucement dans un contexte indicible, plus aucune notion de rien, ni de jugement précis. Le vide l'emporte, le néant total. Seul règne le trouble de cette promiscuité entre un père et son fils, au plus près de son enfant, vacillants l'un et l'autre. Lui parlant sans relâche, tentant d’observer l'espoir d’un signe quelconque de sa part. Soudain, un bras se lève, tel un soldat blessé, un brave épargné jusque-là par la mort. Dans un ultime geste de détresse, il presse le brancardier à convenir de son état. Il hèle à l'immixtion de soins capitaux et les sollicite activement. Un moment de vérité entre ciel et terre, où le choix final n’est pas déterminé, vivre ou mourir ! 
La fanfare des sirènes de pompiers ne tarde pas à retentir, de toute part, de tous côtés. Une équipe intervient sur-le-champ, alertée de la gravité de l'accident. La cellule d’urgence se met en marche, un médecin me rejoint et pro-digue les premiers offices. Je l’informe sur la nature de mes observations durant cette attente et qui pourraient l’aider. Aussi mon identité, mon lien de parenté avec la victime et mon angoisse perceptible. Il accomplit ses prérogatives d’un seul homme, prenant la mesure de la sévérité de l'état de mon garçon. Il dispose de l'ensemble de ses compétences et dresse l'action. 
— C’est très très grave, lui dis-je, il faut faire vite, c’est urgent ! 
— Oui, monsieur, me répond-il, je m’en occupe en priorité. Je vous assure que je vais mettre tout en œuvre pour le sauver. 
Son regard transperçant le mien, dévoile malgré lui la précarité du blessé, pourvu d'incertitude. 
Quatre hommes autour de son corps sans vie le soulèvent et le déplacent vers une zone plus favorable. Les difficultés commencent, préserver sa nuque, ses cervicales, surtout ne pas ajouter de dommage. Les précautions les plus fondamentales sont prises, un travail de fourmi requérant une infinie précision. 
Un certain soulagement, m'enjoint alors, cette équipe de réanimateurs révèlent des compétences significatives, cela ne fait aucun doute. Les gestes sont calibrés, contenus, assu-rés et, malgré l’affolement général, ils parviennent à domi-ner leurs émotions. Ils adressent les procédés vitaux les plus essentiels. J’apporte une frêle contribution et participe à la découpe des vêtements ; mes mains paniquent, s’affolent et deviennent incontrôlables. Mon état de choc me trahit. Je m’écarte alors un peu, proche toutefois du groupe, conve-nant d'une distance acceptable d'observation. Regarder cette escouade d’urgentistes me paraît irréel. Les secours s’affairent encore, beaucoup de matériel est déployé et des valises sont amenées sur place. On en extrait des accessoires respiratoires destinés à l’intubation.  
— Actionne la pompe sans t’arrêter, somme le supérieur.  
Le subordonné s'exécute et pompe manuellement, insuf-flant ainsi de l’oxygène. 
— Prends son pouls en continu, dit-il encore à un autre de ses subalternes.  Place les ventricules sur le torse et relève la tension toutes les deux minutes, assigne-t-il au dernier. 
Chaque ordre est exécuté sans trembler, un vrai achar-nement pour sa survie. Après l’avoir affecté dans une coque spéciale, Fabio est à présent dirigé vers une unité de réani-mation mobile, un camion de pompiers aménagé. Je l'ac-compagne et, à cet instant précis, mes pensées deviennent contradictoires ; je suis soulagé de le savoir entre des mains expertes et tiraillé de le voir manipulé tel un cobaye. Le moindre geste défaillant l’expédierait inexorablement vers le précipice ultime et le condamnerait à jamais. 
Je m'éloigne du véhicule et retourne sur les lieux du drame, désireux de rejoindre mon autre fils Axel. J’essaye de comprendre ce qui est arrivé. Je le retrouve assis par terre, son cœur explose, le mien aussi. Il est inconsolable, la terreur a investi sa tête et son corps. La scène qui s’offre à nous semble apocalyptique, les secours arrivent de plus en plus nombreux, il y en a partout. Des camions, des ambu-lances, des gendarmes, des élus, des voisins, la cellule d’urgence s'intensifie. 
Je reste aux côtés des enfants, des mamans les soutien-nent. Elles ne contiennent pas leurs larmes, un sauveteur contribue à surmonter ce moment d'horreur. Un sentiment d’impuissance me poursuit, je fais les cent pas, je tourne en rond, mes genoux flagellent toujours. La nausée me prend et tout en moi devient déficient. Je m’efforce cependant de garder un minimum de maîtrise, pour Fabio, Axel et mon épouse. Il va falloir la prévenir. Elle était partie faire des courses et, n’étant pas joignable n'est informée de rien. 
Je demande à une connaissance de me conduire jusqu’à notre domicile pour l'avertir. Peut-être est-elle rentrée, et s’inquiète de notre absence ?  
J'avise un ami de mes intentions immédiates et me dirige vers la maison. L'angoisse augmente, elle m’assaille. Comment annoncer ce drame, comment décrire à une mère l’état si désespéré de son fils et quels mots choisir pour ne pas rajouter d'atrocités à l’insupportable ? Il lui suffira de constater mon état de décrépitude pour mieux comprendre. Nous arrivons, elle n’est pas encore rentrée. Peut-être est-elle déjà au courant, vu l’ampleur des événements ? Un vide immense me parcourt, comment faire, comment lui dire, c'est insensé ? J’alerte un proche voisin des circonstances et l'incite à stopper le véhicule de mon épouse quand il passera devant chez lui ; il tentera de retranscrire la situation dans la mesure de ses possibilités. Je sais à ce moment précis que ma démarche impose un fort dévouement, même inhumain. La seule solution plausible à mes yeux dans l'immédiat. Sa tâche s'avère invraisemblable, détestable, pour autant altruiste. Inconcevable, d'apprendre à une mère que son fils gît entre la vie et la mort ? Non, j’aurais vraiment préféré le faire moi-même, mais difficile de m’absenter plus longtemps de mes enfants. Je me livre à une véritable torture. La prise en charge de cet acte de générosité l'honorera, recevant par ailleurs mon infinie sollicitude. 
Retour vers les miens, sur place, il devient laborieux de circuler tant les véhicules se pressent autour de l'arène. De nouveaux pompiers, des médecins, des badauds, on croirait approcher une scène de film. La réalité nous rattrape instan-tanément, elle nous frappe, et soulève nos cœurs. Elle annihile les excédents d'espoir et condamne la moindre croyance. Nous voilà réunis pour être défaits, engloutis par la force de la désillusion.  
Les secours s'intensifient toujours. Impossible de péné-trer dans le véhicule où les soins d’urgence pour Fabio sont dispensés. Je marche sans but, jalonnant ce bloc opératoire roulant. On ne me transmet aucune information, aucun signe et me laisse là, à ma peine et mon incertitude. 
Dans ce tumulte, je reconnais le bruit familier de notre véhicule, vrombissant, largement au-dessus de la vitesse autorisée. Mon épouse surgit, actionne un grand coup de frein, laissant la voiture glisser sur le côté de la route. Enfin elle s’immobilise et accède au désordre. Elle court vers moi, semble désorientée. À ce moment précis, les deux enfants grièvement blessés subsistent sous assistance dans les véhicules de pompier. Cette prise en charge confère à minima une vision plus supportable du chaos ambiant. Je m'évertue à lui expliquer les événements précédents, n'en possédant pas avec précision la cause originelle. Il m’est très difficile de relater les faits et d'être concis sur les circonstances.  
— Où est Fabio ? Putain c'est quoi, ce bordel ! 
— Il est dans ce camion, juste devant. Ils sont en train de le soigner. 
Elle se met à hurler à clamer le nom de son fils « Fabio » ! Elle frappe sur les portes et les vitres du camion dans lequel il se trouve. Le choc est immense, elle ne sait pourtant presque rien de l'accident ni de la gravité des bles-sures de notre garçon.  
Elle demeure une mère incontrôlable, inconsolable, dans un état d’hystérie presque de démence. Je n'ose pas lui en dire d'avantage, je reste évasif, désireux de maintenir un reste d'entendement. Je dégrossis les grandes lignes et ap-porte un spectre de visibilité.  
Le médecin urgentiste sort du véhicule, il ne parvient pas plus que moi à la calmer, à la maîtriser. 
— Je veux voir mon fils, laissez-moi entrer ! 
— Impossible d'entrer pour l'instant, madame, laissez-nous faire notre travail.  
— Je veux le voir, comment va-t-il ? 
Ce refus d'accéder à l'intérieur n'arrange rien. En maman ulcérée, elle invective l'urgentiste, l'insulte et en viendrait presque aux mains.  
Une nouvelle cellule de crise s'impose, des médecins qualifiés pour ce genre de comportement interviennent, sans grand succès. Le déblocage advient rapidement et reste consécutif à l’autorisation de pénétrer dans le fourgon médicalisé. On atteint le sanctuaire, Fabio est allongé, intubé, branché de partout et pansé. Des paramètres électroniques rythment les écrans à proximité de lui. Le préjudice physique ne revêt aucun doute ; irrésolus, nous posons de multiples questions. 
— Quel est son état docteur, qu'est-ce qu'il a exacte-ment ? 
— Votre fils a subi un choc traumatique cérébral important, nous l'avons mis sous coma artificiel. Nous ne pouvons rien diagnostiquer d'autre pour l'instant. 
— Quelles sont ses blessures ? C'est horrible, vous croyez qu'il peut mourir ? 
— Les seuls éléments que je peux vous communiquer sont qu'il va être héliporté vers Toulouse et que nous met-tons tout en œuvre pour le sauver. 
Nous infligeons un vrai harcèlement interrogatoire envers les professionnels ; peu perturbés par nos impudences, ils se réservent les indications intrinsèques de son état. Ils cher-chent d'abord à se protéger et nous préservent également. Ils ne peuvent rien affirmer sur ses chances de survie, ignorant aussi sa capacité à lutter et sa force de résistance. Les seules informations concrètes s'établissent sur la mise en coma et le respirateur artificiel. 
Depuis quelques instants, Fabio est stabilisé, et pourtant à plusieurs reprises, une main, une jambe ou un pied montrent des signes de mouvement et d’agitation. Difficile pour nous, les parents, d'y entrevoir un diagnostic, une amélioration. Nous entretenons notre ignorance et nos velléités. 
Je m’extrais du véhicule, l'air me manque, j’étouffe dans cet espace restreint et cloisonné. Je sors m’oxygéner. Là, à l’extérieur, les événements prennent alors une autre dimension. Des investigations s'imposent et les gendarmes démarrent une enquête préalable. Ils établissent des clichés, des photos du point d'impact, des motos et interrogent déjà les gens présents. L'instruction commence. Une voisine s'approche de moi. 
— Laurent, veux-tu que je t'embarque Axel à la maison le temps d'y voir plus clair ? Je peux le garder cette nuit où te le ramener plus tard, téléphone-moi.  
J'accepte sa proposition emplie de bon sens et n’engendre aucune réserve.  
— Je t'appelle tout à l'heure, dès que j'en saurai davantage lui dis-je. Merci.  
Mon grand garçon la suit et les voilà qui s'éloignent, dé-laissant ce cataclysme. 
Nous entamons à présent une longue phase d'attente, en-touré de pompiers, toujours plus nombreux ; de gendarmes, persévérant dans leur expertise. 
Le sous-préfet s’est déplacé en personne et l'on annonce l’arrivée d’un hélicoptère en provenance de l’hôpital Tou-louse-Purpan qui convoiera notre enfant. Il paraît être le plus grièvement atteint. Un deuxième embarquera l’autre petit garçon, dans un second temps. Les divers protagonistes ayant surmonté les longueurs de l'après-midi, s'efforcent de nous réconforter, nous consoler, compatissants, les mots leurs manquent, tant le bilan semble lourd et singulier. Bien évidemment, ces élans d'affections nous forcent à présager le pire. En définitive, rien n’apaise nos doutes ni nos crain-tes et nos douleurs s'accentuent davantage. L'angoisse aussi avive ce tiraillement abdominal montant jusqu’à la gorge et altérant notre respiration. Surtout ne pas sombrer, impossi-ble de craquer maintenant et en père de famille responsable, je me dois de soutenir mes deux fils, ma femme et ma fille Juline, restée chez un voisin. Ils auront besoin de ma force.