EDITION
LÉVIATHAN
Extrait du 2ème chapitre
Assis dans son large fauteuil à oreilles, Pierre Valainte fut dérangé par son majordome qui lui apportait un colis. Le regard du châtelain fut dédaigneux : il détestait qu’on l’interrompe dans la lecture de sa revue d’art. Le majordome se montra discret. Il remit le paquet dans le plus grand silence. Il était muet, raison qui avait conduit Pierre Valainte à le recruter. Fidèle et dévoué, Alain se montrait capable de lire sur les lèvres de son maître. Il comprit, au petit geste agacé que fit Valainte en posant son cigare dans le cendrier, qu’il convenait de laisser son maître.  
L’œil fixé sur l’envoi conséquent, Pierre Valainte ne parvenait plus à se concentrer sur son article. C’était inhabituel, il n’attendait rien et avait déjà reçu son courrier. Il pensa à une sollicitation des Beaux-Arts. À l’idée de croquis lamentables proposés par un étudiant trop zélé, Valainte décacheta le colis sans conviction. Trois copies lui étaient soumises. Une parmi elles retint son attention. Pourquoi lui adressait-on une mauvaise réplique de "La naissance du monde de Courbet" ? Pourquoi ce sexe féminin ? Certes, la toile avait défrayé la chronique dans le passé, maintes fois cachée et dérobée, dissimulée derrière d’autres peintures ajoutées par-dessus pour fuir la censure. L’explication vint avec l’enveloppe accompagnant l’envoi.  
L’écriture était chaotique et les pattes de mouche s’entassaient sous l’effet d’une encre couleur rouge-sang. Valainte rougit à la lecture du message clair et vulgaire :  
 
« Si tu veux revoir ta fille en entier, grosse bedaine, il va falloir payer ! Je te dirai où et quand. Mais avant, on va jouer toi et moi. Tu vas deviner où, quand, pourquoi et combien, vieux raté ! Au moindre faux pas, la petite y passe. Tu appelles la police, elle morfle, la mignonne. Je la découpe et tu récupères son tronc par la poste, sans bras ni jambes, sans tête, son sexe souillé. 
 
Léviathan ».