Vivre libre ou mourir
EDITION
Prologue 
« Il faut baisser le salaire des ouvriers », voilà la nouvelle qui, depuis deux jours, mettait en émoi tout le faubourg Saint-Antoine. Monsieur Réveillon, le riche patron de la Folie Titon, avait osé proférer ces propos insultants. Son entreprise de papier peint prospérait si bien qu'en une décennie, il était devenu l'un des hommes les plus puissants de Paris. Toutefois en ces temps de colère populaire, sa fortune faisait objet de convoitise. Son commerce causa sa perte lorsque le 28 avril 1789, des milliers de faubouriens se révoltèrent.  
Les portes de la Folie Titon cédèrent en quelques secondes, et la foule s'engouffra avec rage dans la manufacture. Entre saccage, pillage et dégradation, les forces de l'ordre arrivèrent armées dans les jardins : les gardes-françaises et les « suisses » tirèrent sur les rebelles, les Royal-Cravates chargèrent les survivants.  
Au milieu de ce carnage sanguinaire, un cavalier barra le passage à un jeune frondeur tentant de fuir. Pendant un moment, les deux individus se firent face, l'un tenant un simple bâton, l'autre, un pistolet. Le militaire cabra son cheval comme pour signifier sa supériorité. Le garçon, lui, ne bougea pas. Il savait qu'il allait mourir, il le lisait dans le regard haineux de son adversaire. L'officier, prêt à l'abattre, pointa son arme. Le jeune homme ferma les yeux. Il se sentait déjà partir lorsqu'il entendit le bruit sourd de la détonation et le cri de son père au lointain :  
— Étienne !  
Il éprouva une sensation de chute et se cogna la tête contre le gravier. Il ouvrit les yeux, il n'était pas mort, mais il découvrit affalé sur ses jambes le corps de son père. Il comprit qu'il l'avait poussé et qu'il s'était sacrifié pour lui sauver la vie. Apeuré, il se jeta sur le mourant :  
— Papa !  
Trop tard, il ne respirait plus. Étienne regarda l'assassin partir au galop tel un lâche. Chaque détail de ce visage ténébreux ampli d'hostilité l’avait marqué à jamais et il ne pourrait plus l'oublier.