Lorsque Édouard apparaît dans la rue principale du petit village de Frahan, les habitants et même les oiseaux arrêtent de communiquer. Un silence d'outre-tombe envahit le petit hameau, déserté par les touristes en cette saison hivernale. En fermant les yeux, on peut entendre « l'Ultimo Rantolo » de Ennio Morricone venir plomber encore un peu plus l'atmosphère.
Édouard semble ignorer le malaise que sa seule présence répand en ces lieux.
Honteux d’avoir créé un être simplet et répugnant, ses parents l’ont abandonné.
Édouard a été recueilli et élevé par les sœurs du couvent “ Les soeurs de l’immaculée Conception« le béguinage perché tout en haut de la colline surnommé par les Frauhinots “ La maison des nonnes de là-haut ». Devenu adolescent, les sœurs le chassèrent : sa sexualité débordante le poussait à essayer de trousser les nonnettes de tout âge, les obligeant, par sécurité, à se déplacer par deux.
Édouard s'est installé dans la maison abandonnée par ses parents, personne ne sait de quoi il vit.
Pour parler de lui, on pourrait adapter une citation de Coluche « Dieu a dit : il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… » Il aurait pu ajouter : « Et puis : il y aura Édouard, qui sera moche, petit, boiteux, bossu, sale, répugnant et retardé, pour lui ce sera très dur »
Après une vie pleine d’expériences, heureuses malheureuses mais constructives, je vis dans un gîte aux alentours du village. Mes parents n'ont pas émis le désir de m'héberger, je ne suis pas en froid avec eux, disons gentiment, qu'ils sont tièdes avec moi. Je suis le seul des trois enfants, qui n'a pas fait de hautes études avec les plus grandes distinctions. Dans ma jeunesse, ils me l'ont pourtant répété à longueur de journées : « tu ne feras rien de ta vie, prends exemple sur ton frère et ta sœur. » et je peux dire que celui-qui peut le plus peut aussi le moins ce fut mon cas.
J’aime me balader dans la nature, emprunter des sentes dans les bois, découvrir des espaces laissés aux lois de la nature. Lors de l’une de mes escapades forestières à la croisée de deux chemins, j’ai rencontré Edouard. Tout étonnés de nous croiser au milieu de nulle part, nous étions sur nos gardes. Nos regards se sont croisés. Mon dieu ! Ce regard d'enfant m'a figé sur place ! C'est lui qui m'a dit : « monsieur, monsieur ça va ? » Je lui ai souri, il m'a rendu mon sourire. J'ai vu son âme au fond de ses yeux, des angelots scintillants de bonheur y dansaient. Sans un mot, nous nous sommes quittés d'un signe de la main.
Je venais de voir mon image dans un miroir, nos peines n’étaient pas les mêmes mais nous menions une même quête de reconnaissance. Merci Édouard ! Dès ce jour ma vie n'a plus été pareille : mon âme s'est ouverte à la simplicité du bonheur.