Cantu U Populu Corsu
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© Jean-François COUBAU
Dans la chaleur du mois de juin, les chants polyphoniques corses s'élevèrent majestueusement. Tel un aigle royal, la mélopée s'envola lentement, pour atteindre le ciel, réel ou imaginaire. Quelqu'un avait dû mettre en fonctionnement une chaine stéréo de voiture et laissé les vitres ouvertes.  
 
Assise à son bureau, Laetitia essaya de se concentrer. Devant et derrière elle, ainsi qu'à ses côtés, les autres candidats au baccalauréat faisaient de même. Les fenêtres grandes ouvertes à cause de la température, elle planchait sur son exercice de mathématique, qui était semble-t-il, compliqué. Avec un fort coefficient en S, l'épreuve était cruciale. 
 
Dehors, les chants continuaient, et la jeune fille ouvrit toutes grandes ses oreilles. Elle scruta les visages alentours et vit certains tiquer. 
 
- Ils doivent être corses, eux aussi. 
 
Elle prépara son brouillon en surveillant les examinateurs dont l'un " patrouillait " entre les tables. Elle inclina la tête, prit une feuille et se prépara à noter les formules qui lui revenait à l'esprit. 
 
À l'esprit ?  
Ou aux oreilles ? 
 
En effet, ceux qui avaient une connaissance de la langue corse, pouvaient reconnaitre des formules de mathématique au lieu des chants traditionnels ! Les amis de Laetitia avaient parfaitement manœuvré. Le disque enregistré par son frère, sur lequel celui-ci avait remplacé les mots par les formules fonctionnait à merveille. 
 
- Il faut que je me dépêche, se dit-elle. D'abord, les statistiques et les probabilités. 
 
Avec une rapidité peu commune, elle griffonnait sa feuille pour noter toutes les formules. Et ça marchait bien ! Lorsque la page fut pleine, elle la tourna et continua de l'autre côté. 
 
- Pourvu que je tienne le rythme ! 
 
Frénétiquement, elle noircissait son brouillon. Bientôt, elle arriva à la fin. Elle prit sa feuille, la plaça sur le coin du bureau et, en attrapant une seconde, elle continua de plus belle. 
 
En bas, la chanson finit et une autre débuta, avec les formules de trigonométrie. La page, là aussi, commençait à se remplir. 
 
- Allons, un effort, Laetitia, se morigéna-t-elle. C'est bientôt fini. 
 
Elle terminait la seconde page, lorsqu'une ombre recouvrit son bureau. C'était un des examinateurs. Il la regarda amusé et se pencha vers elle : 
 
- Magnifique ! Vous êtes vraiment une matheuse ! 
- Merci. 
 
- Parfait. Donnez-moi votre copie maintenant ! 
- Mais pourquoi. 
 
Le professeur lui décerna un sourire sardonique. 
- Moi aussi, je suis corse !