Avez-vous vu, le nouveau chapeau de Zozo ?
C'est un chapeau, un chapeau rigolo.
Sur le devant, on a mis une plume de paon
Sur le côté, un gentil perroquet !
Pendant que l'orchestre reprenait le refrain, Maurice Chevalier chantait et dansait sur la scène. Le public était enthousiaste. Quand la chanson se termina, ce fut un tonnerre d'applaudissement. Dans l'assistance, Célestin Lambert, tout juste sorti de ses vingt ans était au comble de la joie.
En effet, le Théâtre aux Armées donnait cette représentation en exclusivité " mondiale " comme l'annonçait l'affiche. Pour le jeune garçon qui avait quitté sa Provence natale quelques semaines plus tôt pour la première fois de sa vie, c'était la découverte d'un autre monde. Son ami parisien Emile, dit " Mimile ", était à ses côtés et s'amusait aussi énormément. Enfin, Maurice Chevalier entama une autre chanson :
Le colonel était de l'Action Française,
Le commandant, était un modéré,
Le capitaine était pour le diocèse
Et le lieutenant, bouffait du curé !
Le juteux, était un fervent extrémiste,
Le sergent, un socialiste convaincu
Le caporal, inscrit sur toutes les listes,
Et le deuxième classe au P.M.U. !
Et tout ça, ça fait
D'excellents Français,
D'excellents soldats
Qui marchent au pas !
Quand ce fut terminé, les " girls " dansèrent sur une musique " américaine ". À l'entracte les spectateurs, presque tous soldats, allèrent à la buvette. Presque par hasard, Célestin et Mimile se retrouvèrent près de la porte des artistes. En sortant, les demoiselles furent copieusement applaudies. Et soudain, presque comme dans un rêve, il vit une des filles se diriger vers lui avec un grand sourire.
- Bonjour Célestin.
Le brave garçon ne put que bégayer :
- Mais, je ne vous connais pas, mademoiselle . . .
- Mais Célestin, je suis Marie !
- Marie ?
- Mais oui, Marie Audibert. De Simiane, comme toi !
Un éclair se fit dans la cervelle du jeune homme.
- Oh Marie, mais oui, je te reconnais. Je te croyais à Aix pour tes études.
Et se tournant vers Mimile, il dit :
- Elle est de mon village !
- Je vois, répondit Mimile en souriant.
- Et alors, tes cours au lycée ? demanda Célestin.
- Tu parles mes études ! J'ai abandonné, je n'y arrivais pas. Ici je gagne ma vie et en plus je m'amuse.
- Bah dis donc ! Et tes parents ?
- Euh, ils me croient chez une vieille tante, en Auvergne. Mais je fais seulement la tournée, après j'arrête et je me trouverais bien un petit emploi. Et toi ?
- Bof, moi je suis caporal-chef maintenant.
- Hum, du galon je vois. Et à quand le grade de général ?
- Pas pour tout de suite, mais . . .
- Ecoute, le spectacle va bientôt reprendre, mais il faut que je te parle en privé, d'accord ?
- D'accord. Tu m'excuses Mimile ?
- Bien sûr Célestin, répondit le parisien d'un air amusé.
Marie entraîna le jeune homme dans un coin tranquille et lui dit :
- Voilà, il faut que je te dise un truc.
- Eh bien quoi ?
- Quand on dansait au village, tu ne te souciais pas de moi !
Célestin était un peu étonné d'un tel aveu, mais la fille continua.
- Alors écoute, tu devrais voir si on peut se retrouver quand la tournée sera finie. Si tu prenais un emploi à Marseille ou Aix, on pourrait se retrouver. Je sais que tu es un bon garçon et on pourrait se revoir, n'est-ce-pas.
- Oui, je ne dis pas non, mais . . .
- Mais ?
- Un jour quand j'ai essayé de t'embrasser, tu n'as pas voulu !
- Je m'en souviens, mais j'ai regretté aussitôt !
- Et pourquoi tu n'as pas changé d'avis ?
- Eh bien, Célestin, il y des choses qu'une fille ne peut pas dire à un garçon, tu comprends ?
- Non, je ne comprends rien aux femmes. Avec vous, on ne sait jamais si on est dans le vrai ou non.
La jeune fille ne répondit pas, mais elle inclina la tête, mit ses bras autour du cou de Célestin et . . .
Et le reste suivit tout seul !
Quelques minutes plus tard, le spectacle reprenait et Mimile vit arriver son ami. Au visage qu'il avait, le parisien comprit ce qui s'était passé. Il lui lança :
- Alors ? Ça c'est-y-bien passé ?
- Euh, oui, euh …
- Ah j'ai compris mon ami et tant mieux pour toi.
Finalement, le jeune homme lui raconta les faits en quelques mots et il ajouta :
- Quelle soirée j'ai passé, elle a été merveilleuse.
- Tu t'es bien amusé ? interrogea Mimile.
- Tu penses et en plus Marie qui m'a embrassé alors . . .
- Alors, c'était la première fois que tu embrassais une fille ?
- Euh … non, euh oui, enfin . . .
- Ah ah, et bien tu vois, il y a un début à tout ! Mon ami, je suis heureux de te voir content.
- Eh bien Mimile, cette date sera à jamais gravée dans mon cœur.
- Comme je te comprends mon gars ! Allez viens, on va boire un coup pour fêter ça ! Et c'est moi qui régale !
- Merci, ce 9 mai restera une date merveilleuse pour moi.
- Ah non, tu t'es trompé, il est plus de minuit, nous sommes le 10 mai.
- Tu as raison, je rectifie. Ce 10 mai sera un jour important !
En effet, ce 10 mai resterait gravé dans l'esprit de Célestin car à moins de cent kilomètres de là, dix divisons blindées allemandes se mettaient en marche pour traverser le massif montagneux des Ardrennes.
Il était deux heures du matin, ce 10 mai 1940 !