Aspect neigeux
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© Bénédicte Krebs
Je suis arrivé depuis huit jours, et rien n'explique ma présence ici. 
 
Ces derniers jours me semblent avoir duré dix ans, passés entre des amis, JiDé et Maggy, dont je pensais tout connaître et qui me traitent comme un étranger, sinon comme un ennemi ? Vraiment, je ne peux les comprendre, que se passe-t-il donc de si inavouable ? Ou que s'est-il passé ? 
 
D'habitude, nos retrouvailles sont un exemple que nos autres amis prenaient plaisir à citer : nous nous asseyions et la conversation reprenait là où nous l'avions laissée, sans gêne. 
 
Notre relation n'est pas sujette à l'usure du temps. Surtout mon amitié avec JiDé, intouchable !! Aujourd'hui je suis perdu. 
 
Je m'étonne moi-même, je n'ose me lancer à le questionner. Et pourquoi m'avoir convoqué ? Pas invité, non, convoqué, sommé de me présenter ici.  
Et seul en plus ? Merde, si au moins Isa était là. 
 
Je connais la région, certains voisins. Je meuble mon temps libre comme je peux en me promenant. Empêcher mon esprit trop curieux de se peupler d'idées noires qui me viennent naturellement dans cette ambiance pourrie. 
 
C'est vrai que j'espère croiser quelqu'un qui me donnerait une info sinon un début d'explication. 
 
J'aimerais tellement les aider. JiDé. Il me semble que c'est lui surtout qui est bizarre. Ce qu'il dit, ce qu'il fait, tous ces gestes désordonnés qu'il a dans la journée et qui ne le surprennent pas. Ses attitudes incompréhensibles, son regard hagard. C'est dur de dire ça de mon pote. 
 
Je ne le comprends plus. Hier encore, cette sortie rapide de la maison pour aller où ? J'y vais, je dois y aller ont été ses mots et il s'est glissé dehors. Il n'était pas rentré à la tombée de la nuit, j'ai bien essayé de tirer profit de la situation pour questionner Maggy, mais autant questionner le poisson rouge, seul repère qui me semble stable et normal ici. C'est dire si la situation me semble désespérée. 
 
Puis je suis monté dans la chambre d'amis, je me suis posté derrière la fenêtre, à guetter son retour...et je me suis réveillé ce matin à 8h...rien vu. 
 
Enfin, ce matin j'ai croisé en me promenant sur les chemins alentours, des voisins que je connais, invités de cet été. 
 
Ils ne m'ont pas reconnu. Ils ne m'ont pas regardé. Ils ne m'ont pas vu. 
 
Mais j'ai vu, moi, leur regard hagard. Même regard vide, mais à la réflexion sans peur, proche d'une béatitude.  
Moi, j'ai peur maintenant. 
 
Pauvre Paul, il ne comprend rien. Mes moments de lucidité ont encore diminué, à peine plus de deux heures par jour. À peine suffisants pour essayer de corriger la formule. 
 
Pourtant en début de mois, je croyais les choses gagnées !! J'avais invité Paul, je voulais partager ma victoire !! 
 
Et c'est raté ! 
 
Non seulement, je n'ai pas pu lui raconter l'expérience, mais je n'ai même pas pu lui parler. Je ne peux gâcher aucune de mes précieuses minutes de lucidité à faire autre chose que tenter de réparer cette catastrophe. C'est encore temps, je me force à le croire en tout cas. 
 
J'ai vu mes voisins, leur temps de lucidité est moindre encore, leur regard en dit long sur leur état pour qui en comprend l'origine. Leurs gestes plus désordonnés que les miens, les nerfs plus sérieusement atteints. 
 
Deux choses à faire dans l'immédiat, à chaque fois que je suis lucide : essayer une formulation et consigner par écrit. Je connais Paul, il finira par fouiner, m'espionner, trouver et comprendre ce que j'ai fait. 
 
Il trouvera mes dossiers laissés ici. Enfin, cela c'est pour plus tard, pour l'instant je veux m'en sortir SEUL, et ne partager ensuite que l'euphorie de la victoire. C'est ma façon, de prouver à cet ami cher, mais tellement reconnu de tous, profs, scientifiques, gouvernement que MOI aussi je peux faire de grandes choses. 
 
Paul, 
 
Te souviens-tu de notre époque écolo des années 2020, de ce vieux mage, rencontré dans un rassemblement ? De sa théorie de transformer le sable en une substance d'aspect neigeux et contenant une grande quantité d'eau … et une quantité d'un déchet très blanc. T'en souviens-tu ? Ce principe m'a poursuivi toute ma vie. Et j'y suis arrivé en ce début d'année, j'ai créé ma NEIGE, nom facile me diras-tu, mais bon…je n'ai pas réussi à la séparer de son déchet, mais j'ai continué. 
Tant de besoins d'eau de par le monde, je ne voulais pas m'arrêter à ce détail de déchet. 
J'ai testé la NEIGE dans les boissons, les plats, la consommation d'eau courante. GÉNIAL ! Le goût intact, légèrement acidulé. La pureté inconnue, parfaite ! Nous ramenant à des notions de fraîcheur, de facilité. Tant de notions importantes que j'en oubliais ce problème de déchet… 
Début février, j'ai voulu t'inviter pour fêter l'événement, partager avec toi cette victoire ; rendre publique ma découverte.  
Mais au bout de quelques semaines de consommation, quelques premiers symptômes qui auraient dû m'alerter… Des pertes de mémoire, des moments d'égarement. Idem pour mes voisins, gros consommateurs d'eau, leur état me semble aujourd'hui pire encore que le mien.  
Maggy, elle, a sombré dans un mutisme dès la 3° semaine, pourquoi ? Faiblesse de son organisme ? Allergie ? 
Depuis, je cherche, j'y crois encore, mais les moments de folie sont accompagnés de douleurs intenses, je ne sais combien de temps je vais tenir. 
Je te laisse ici dans cette cachette que tu as trouvée…, tous mes résultats, tu pourras reprendre mes travaux. 
Prends s 
 
Depuis hier JiDé est introuvable. Je le cherche. Maggy est aussi paumée qu'à son habitude, l'absence de son mari ne semble pas l'affecter. Elle est ailleurs, inaccessible. 
 
Si je ne l'ai pas trouvé d'ici ce soir, j'avertirai les services de recherche, je sais, ce n'est pas super comme attitude mais que faire ? Je ne peux plus agir sans prendre des décisions peu habituelles, à la taille de mon trouble, de ma peur. Et puis je fais partie des VIP du gouvernement, je me dois d'agir. 
 
C'est une odeur chimique qui a attiré mon attention. Une odeur qui me rappelait vaguement quelque chose, un truc pas désagréable mais quoi ? Impossible de mettre un nom sur cette odeur. Une époque, les années 2020-23. Une odeur démodée en somme; vieille de plus de vingt ans. 
 
Horreur de la découverte que je fis ensuite dans une pièce sous la vieille grange désaffectée, grange que je n'avais jamais visitée, pièce cachée que je n'avais jamais soupçonnée. 
 
Jidé couché sur le sol, mort, les yeux ouverts, hagards… saisi par la mort alors qu'il écrivait sur un carnet sali par ce que son corps dans un dernier soubresaut avait rejeté. Un mélange très blanc, luminescent… à l'origine de cette odeur entre la barbe à papa et, cela m'est revenu en un flash, de celle de ces champignons aux effets de folie que nous consommions dans notre jeunesse dans chacune de nos soirées. 
 
J'attrapais le carnet un peu dégoûté. Ce que j'y lus me glaça. JiDé avait cru ce fou de mage, poursuivi ses travaux. 
 
Il n'avait pas su que ce mage, MAGIX, avait été interné en protection 4 quelques semaines seulement après notre rencontre. Dénoncé par moi, le brillant étudiant en sciences, qui cherchait un moyen, n'importe lequel pour se faire remarquer par les autorités pour une place de choix au sein des écoles d'état. 
 
Aucune autre solution maintenant pour moi, que celle de faire appel à la société spéciale du gouvernement : faire disparaître toute trace de cette expérience avortée, découverte ici par moi, le brillant ministre des sciences. 
 
Puis rechercher le gisement des champignons, cachés sous le sable, et qui sans que JiDé le sût lui ont permis d'arriver à ces résultats. 
 
Tu parles d'une trouvaille. Utiliser sans le savoir un sable infecté de ces précieux champignons pour obtenir de l'eau et sauver l'humanité… tout ça gratos bien sûr… alors que lesdits champignons sont bien plus utiles, indispensables, et bien plus rentables dans la fabrication de l'élixir de jeunesse que les derniers grands s'arrachent. 
 
Divine formule de MAGIX.  
Réel secret par moi protégé depuis si longtemps. 
 
Riche, me voilà riche. 
 
Sans Isa, à moi une nouvelle vie, éternellement jeune !! 
 
Merci JiDé, toi, tu étais un vrai pote !!!