Le poisson géant
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© Virginie COROT
C'était il y a bien longtemps. Nous étions en plein mois d'aout et passions comme tous les ans, les vacances dans la maison familiale en pleine campagne. Nous respirions le grand air et avions tout l'espace pour nous dépenser.  
Pour nous occuper, ma mère nous inventait des jeux sympas et nous emmenait en promenade, ma soeur et moi.  
Les hommes, eux étaient à la pêche l'après midi dans un petit coin de verdure qu'ils avaient trouvé en bord de Seine. 
C'était des étés insouciants et plein du bonheur de l'enfance dans la beauté de la nature en cette saison chaude. 
 
L'été de mes neuf ans, si je me souviens bien, nous étions presque fin août. Mon oncle et sa compagne étaient venus passer quelques jours avec nous pour se reposer au bon air.  
L'après-midi tirait à sa fin et nous rentrions, ma soeur, ma mère, ma tante et moi d'une balade à vélo dans la campagne. Nous avions même coursé quelques poules au passage. Ce fut un moment agréable... sauf pour les poules ! 
Quand la voiture de mon père entra dans la cour, il était bien cinq heures et demie passé et les rayons du soleil éclairaient d'un éclat doré les grands arbres et le toit de l'église au bout du village en bas d'une grande côte que nous aimions descendre en bicyclette. Les nuages étaient tout roses et le ciel tissé d'or.  
Mon grand-père, alors robuste et guilleret de nature descendit le premier du véhicule et nous adressa un sourire qui cachait une surprise. C'était son sourire à lui. Son regard pétillait de malice comme à son habitude. 
Mon père sortit ensuite, un sourire triomphal sur ses lèvres minces et alla ouvrir le coffre où se tenait la bourriche remplie de sa pêche. 
- Tu as pêché quoi aujourd'hui ? demanda ma mère. 
Mon père ne dit rien et sortit sa bourriche. 
Tout le monde resta pantois !  
Dans sa bourriche, un ÉNORME poisson s'y trouvait. Si gros, si grand, qu'il remplissait le filet à lui tout seul. Jamais je n'aurais pensé qu'il existât des poissons d'une telle taille.  
Il s'agissait d'un barbeau, grand poisson cylindrique avec de grandes lèvres épaisses sous la tête qu'on ne trouve pas souvent dans la Seine.  
Tout ce dont je me souviens, c'est qu'on l'a appelé le " barbillon ". J'ai trouvé que c'était joli comme nom " Barbillon " ! Ça sonnait comme " carillon ". 
Mon père et mon grand-père décidèrent de le placer dans la baignoire remplie d'eau en attendant de l'achever. Exécution qui était prévue pour le soir même. 
 
Après manger, mon père décida qu'il était temps d'achever le mini requin dans la baignoire. Il commença en le prenant par le bas du corps et en lui cognant la tête à plusieurs reprises contre le rebord de la baignoire. Puis, voyant que le poisson ne bougeait plus, il le remit dans l'eau. Grand mal lui en prit ! Au bout de quelques secondes, le barbeau, juste sonné se remit à frétiller des nageoires.  
Mon père soupira. Il reprit la bête et lui administra plusieurs coups de sa savate sur la tête. Il attendit quelques secondes. Quand il vit un filet de sang sortir de la bouche du poisson, il décréta qu'il était forcément mort et ne prit pas le risque malgré tout de le remettre dans l'eau. Il le ramena dans la cuisine et le posa sur la table où mon grand-père avait posé une feuille d'un vieux journal. Le gros poisson resta inerte quelques secondes puis fit un bond magistral sur la table. La rébellion poissonnière éclatait ! 
La compagne de mon oncle, déjà pas friande de séjours dans la nature, tira alors sa révérence et alla s'enfermer prestement dans la salle de séjour. C'était trop pour elle ! Un poisson qui saute sur la table ! Pensez-vous ! 
Mon père, son frère et mon grand-père étaient désespérés. Comment venir à bout de ce barbillon en évitant tant que possible de le faire souffrir d'avantage car il est vrai que ça devenait cruel et autant que je me souvienne, ils avaient quand même du respect pour les animaux en général et n'aimaient pas les faire souffrir inutilement ! 
C'est alors qu'une idée vint enfin germer dans leur tête. C'était la seule issue pour tuer la bête et en faire une bonne friture le lendemain, enfin, pour le déguster !  
Mon père prit le poisson avec précautions dans son papier journal et les hommes sortirent dehors dans ce début de nuit d'été.  
Je n'ai rien entendu mais je sus plus tard qu'ils avaient fini de le tuer avec la carabine à plombs qui se trouvait dans le cabanon.  
Le massacre était fini et le barbeau ne souffrait plus. C'est tout ce qui comptait !