- Tu y crois, toi au 21 décembre 2012 ? demanda Danielle à son mari.
- Quoi, le truc des Maya ? Le calendrier qui se termine et c’est la fin du monde ? On n’en sait rien, mais c’est du pipeau, tout ça.
- J’espère.
En ce « jour J », un certain nombre de gens sur terre attendaient l’évènement en question. Beaucoup s’en moquaient, d’autres étaient sceptiques, une minorité avait peur.
En Asie, les temples bouddhistes se remplirent plus que d’habitude. Au Vatican, malgré les circonlocutions et les contorsions diplomatiques et sémantiques, la messe du jour fut suivie avec beaucoup plus de ferveur que d’habitude. Idem pour les autres religions, qui n’en parlaient pas, mais n’en pensaient pas moins.
Ce jour du 21 était donc arrivé. De bon matin, Danielle alla faire des courses. Les gens semblaient gris, inertes. Pensaient-ils à minuit où tout devait « basculer ». Mais basculer dans quoi ? Où ? Tout ceci est ridicule, se dit-elle.
Elle acheta une bonne bouteille de rouge, comme son mari l’aimait, « Le pas du Templier », et rentra chez elle. Elle avait pris un jour de vacance, en cas de . . . En cas de quoi, au fait ?
Elle se mit sur internet et lu les journaux en ligne. Toute la planète bruissait de la rumeur. On était à la Fin des Temps, c’était le combat de Gog et Magog, on ressortait les centuries de Nostradamus, les prévisions de madame Lune, on lorgnait l’arsenal nucléaire des pays dit « à risque », ( toujours les mêmes ), ceux situés vers le milieu de la carte, où la liberté est garantie du moment qu’on pense comme le chef ! Les satellites espions prenaient des photos qui, si la fin de monde était pour aujourd’hui, ne serviraient à rien. Mais il fallait s’occuper, montrer qu’on était là, que le couteux matériel envoyé dans l’espace servait à quelque chose.
À l’ONU, la séance fut houleuse, le « figaro.fr » la racontait en direct. Les uns accusaient les autres de leurs propres turpitudes. Au nom de Dieu, de la République, du Roi, de l’Empereur ou du Grand Fumiste en Chef, on s’invectiva à qui mieux mieux. Puis, les rapports firent sensation. Dans l’espace, on n’avait RIEN. Il ne se passait rien. « Non, rien de rien », comme chantait Piaf. Rien sur les radars de la NORAD, la défense aérospatiale Nord-Américaine, enterrée sous quatre-cent mètres de béton, sous les monts Cheyennes dans le Colorado. Pourtant, c’étaient les plus performants du monde ! La contribuable étatsunien en savait quelque chose. Puisqu’on vous dit qu’il n’y a rien, asséna la journaliste officielle du soir, estampillée AOC, au JT de vingt heures !
Donc, pas de fin du monde en vue. Demain serait le même jour, avec les mêmes adultères, les mêmes escroqueries, le même chômage, la même incompréhension mutuelle.
- Bon, dit Danielle, ce soir, soupe à l‘oignon, tartes aux épinards et fruits au sirop.
- Superbe, répondit le mari, Gilles de son prénom.
Ils préparèrent la table, et pendant ce temps l’immeuble où ils habitaient continuait de vivre malgré la crainte de « quelque chose ». La jolie voisine du dessus se mit à faire du bruit, on aurait dit que son lit était violemment secoué. Pourtant le mari n’était pas là, il était en déplacement professionnel, avait-il dit à Gilles.
À l’étage au-dessous, le voisin alluma sa cigarette à l’odeur bizarre.
Sur son palier, les voisins s’engueulèrent comme d’habitude. Mais tous pensaient à la date. Et si c’était pour ce soir ?
- Bon, dit Gilles un peu ironique, on va manger avant la fin du monde.
- Idiot, lui répondit Danielle, en souriant. Et que feras-tu alors ?
- Comme tout le monde, on verra bien.
Le repas fut gai. La télévision ne parla presque pas de la date, c’était sujet tabou dans les médias « officiels ». Enfin, l‘heure du film arriva. C’était, ironiquement, « Le dernier métro ». Comme quoi, le Destin peut être mordant !
- On va se coucher ? lança Danielle.
- Moi, j’attends minuit.
Gille s’installa sur la terrasse véranda, avec un livre et un verre de vin à ses côtés.
- C’est comme ça que tu comptes mourir ? dit Danielle malicieusement.
- Parfaitement. Un verre de rouge dans la main droite et un roman de Jimmy Guieu dans la main gauche. Quoi de plus beau ?
- Comme tu veux mon chou.
Elle s’assit sur le deuxième fauteuil. La rumeur de pâté de maison arrivait jusqu’à eux. Ce n’était que rires, cris de joie et applaudissements. Soudain, Danielle dit :
- Il est minuit.
Gilles la regarda :
Il ne se passe rien, tout ça c’était du vent. Ca a permis de vendre des horoscopes, des abris anti-fin-du-monde, des kits de survie bidons, de faire entrer des gens dans des sectes, etc.
Mais Danielle ne l’écoutait pas.
- Regarde dit-elle, en levant les yeux au ciel.
Il fit de même et s’aperçut avec horreur que l’une après l’autre, les étoiles s’éteignaient !