Cent-vingt minutes
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© Jean-François COUBAU
Xu Yuan-Gong n'a pas eu le temps de crier. Une main gantée s'est abattue sur sa bouche, le poignard s'est enfoncé dans son cou et il s'est effondré sans bruit.Le caporal Kang Jiaoren ne perd pas de temps et rejoint son escouade. En quelques minutes, ses camarades se sont rendu maîtres de la station radar. 
 
Il est deux heures du matin sur la côte ouest de l'île de Taï-Wan. Un peu partout, la même scène se répète. En quelques minutes, les commandos de l'armée populaire chinoise, débarqués par sous-marins ont annihilé les défenses de l'île, anciennement nommée Formose. 
 
Au même instant, des vagues de bombardiers venus de Chine continentale déversent des myriades de missiles sur les aérodromes et les postes de commandement de l'armée Taïwannaise. Surprise en plein sommeil, celle-ci ne peut que constater les dégâts. 
 
Depuis quelques semaines, l'agitation politique était à son comble dans l'île. Le nouveau président, porté par une vague populaire, venait de décréter la séparation d'avec la Chine populaire. Celle-ci avait prévenu : en cas de proclamation d'indépendance, ce serait l'invasion. 
 
Maintenant, le jour s'est levé. La Mer de Chine est couverte de navires. Mais avant le débarquement, se produit un événement important. La Chine populaire fait détoner une charge nucléaire au-dessus de l'île, à plus de cent cinquante kilomètres d'altitude. Comme juridiquement, l'espace commence à cent vingt kilomètres du sol, ceci n'est pas considéré comme une attaque atomique. Néanmoins, cette explosion lance des ondes électromagnétiques qui détruisent tous les appareillages électroniques, surtout ceux de l'armée Taïwannaise. Celle-ci, basée sur la haute technologie fournie par les Américains, ne peut plus mettre en œuvre ses moyens de défenses. Elle est donc impuissante. Ses avions ultramodernes sont cloués au sol, ses missiles, inopérants et ses chars et véhicules blindés, immobilisés. 
 
L'armée populaire chinoise débarque sans trop de problèmes. Son matériel, beaucoup plus rustique, est moins sensible aux impulsions électromagnétiques. Il est donc en état de fonctionner. Bientôt, par dizaines, les chars et autres véhicules blindés, se mettent en marche. Ils foncent pratiquement sans opposition vers la capitale, Taï-Peh. A l'annonce de leur arrivée, les habitants fuient par milliers vers le sud. Les embouteillages sont énormes et on déplore des dizaines de morts dans des carambolages et autres accidents. 
 
Mais la communauté internationale ne tarde pas à réagir. Kofi Annan, le Secrétaire Général de l'O.N.U. intervient. Il fait un voyage éclair à Pékin pour essayer de calmer les dirigeants chinois. Mais rien n'y fait et le monde prend peur. Les Etats-Unis sont les " protecteurs " de Taï-Wan. Ils vont donc intervenir. Ce qui leur déplaît, ce n'est pas que l'île redevienne chinoise, ils n'en ont cure. C'est que les Chinois ne contrôlent à terme, avec l'occupation de l'île, le détroit de Formose, par lequel transite une bonne partie de leur commerce du Pacifique Ouest. Mais c'est aussi parce qu'ils ne pourront plus vendre de matériel militaire à Taï-Wan et que les marchands de canons américains perdront de l'argent. C'est donc pour des raisons économiques qu'ils vont s'interposer. 
 
Leur atout, c'est la flotte de guerre, la fameuse U.S. Navy. Elle est la première du monde et règne sans partage sur tous les océans. Elle possède douze groupes de combat, chacun articulé autour d'un porte-avions. Précisément, depuis quelques temps, les analystes de la C.I.A. avaient prévu que quelque chose se tramait dans ce coin du globe. Le commandant en chef de la flotte du Pacifique avait donc " envoyé du monde ". 
 
La confrontation s'engage dès le deuxième jour. Les Américains se croient supérieurs, se fiant à leur haute technologie. Mais les Chinois ont une arme " secrète ". Ils ont acheté dix sous-marins de la classe Kilo aux Russes et ont appris à s'en servir. Ce ne sont pas des submersibles à propulsion nucléaire trop compliqués à mettre en œuvre. Ceux-ci, à cause du circuit de refroidissement secondaire du réacteur atomique, sont relativement bruyants et peuvent donc être repérés au sonar et aux écouteurs. Au contraire, les Kilos, à propulsion électrique en plongée sont particulièrement silencieux. Ils s'approchent donc de la flotte américaine et attaquent simultanément. Avec leurs nouvelles torpilles russes ultra-rapides, les SHKVAL à propulsion par fusée, la supériorité tactique des chinois est évidente. Les deux croiseurs antiaériens, " Ticondéroga " et " Tucson ", à deux milliards de dollars l'unité sont envoyés par le fond. Au même moment, deux régiments aériens attaquent le porte-avions. Ses chasseurs F18 " Hornet " décollent et abattent la plupart des assaillants du premier régiment. Mais comme ils ont tiré tous leurs missiles et que les croiseurs d'escorte sont hors jeu, les Américains sont désarmés. Le deuxième régiment attaque à son tour et lance une nuée de missiles sur le porte-avions " Ranger ". Celui-ci, frappé huit fois, explose, chavire et entraîne dans la mort plus de cinq mille hommes. Un troisième régiment, resté en réserve attaque et coule les destroyers d'escorte, ainsi que le transport de troupes " Ponce ". Seul le sous-marin nucléaire d'attaque " Denver " échappe au massacre. Les dix sous-marins chinois réussissent à se retirer du combat. La victoire des amiraux asiatiques est totale. L'U.S Navy n'a pas reçu une telle gifle depuis la bataille de Midway en 1942. 
 
Lorsque la nouvelle arrive à Washington, c'est la consternation. Par millions, les citoyens américains descendent dans la rue et crient vengeance. Certains saccagent le consulat chinois de San-Francisco, malgré la protection de la police. Des asiatiques, dont certains ne sont pas chinois, sont roués de coups dans les rues. Kofi Annan essaye d'appeler les dirigeants de Pékin à la raison. Le Conseil de Sécurité se réunit et vote la condamnation de l'agression chinoise à l'unanimité, moins deux voix, Cuba et l'Iran. 
 
Sur terre, les événements se précipitent. La défense sporadique des Taïwannais ne peut ralentir l'invasion. Quelques unités restées en arrière harcèlent les soldats de Pékin, mais sont vite éliminées. La capitale est occupée et le président Taïwannais est capturé ainsi que la plupart de ses ministres. Immédiatement et par avion spécial, ils sont emmenés en Chine populaire.  
 
Le troisième jour, presque toute l'île est occupée. A un contre dix, les soldats Taïwannais se battent toujours, forçant l'admiration du monde. Les LRM ( Lance-Roquettes Multiples ), surnommés aussi " faiseurs de pluie noire ", à 12 tubes de 120 mm, fournis par la France à l'artillerie Taïwannaise, anéantissent même le 5 ème régiment mécanisé de l'armée populaire. Par des missions de sacrifice, ce qui reste de l'aviation Taïwannaise essaie d'arrêter le rouleau compresseur. Mais tout ceci est vain. On en est déjà à plus de huit mille morts et deux fois plus de blessés. 
 
Le Président Georges Bush réunit son conseil de défense dans le célèbre bureau ovale. Il sait que sa marge de manœuvre est étroite. Il doit, sous peine de perdre toute crédibilité, assurer la défense de l'île. Quatre autres groupes de combat de la VII ème Flotte, articulés autour des porte-avions, " John Kennedy ", " Georges Washington ", " Enterprise " et " Nimitz " foncent vers le lieu de la bataille. Mais il leur faudra au moins trois jours pour arriver sur zone. Quant à l'armée de terre américaine, elle est empêtrée dans cette invraisemblable guerre d'Irak et hors d'état de mobiliser suffisamment de ressources pour entrer en scène. 
 
Seuls, les bombardiers B52 à long rayon d'action, vétérans de la guerre froide, et leurs minables successeurs B1 peuvent intervenir. Mais ils sont basés à Diégo-Garcia, dans l'océan Indien ou à Guam, dans le Pacifique. C'est loin et malgré les ravitaillements en vol, leur temps de présence sur le champ de bataille ne leur permet pas d'opérer efficacement. Plusieurs sont d'ailleurs abattus. Seule une menace de frappe nucléaire stratégique peut donc arrêter les dirigeants chinois. Mais s'ils ne modifient pas leur attitude, il faudra, soit reculer et perdre la face, soit raser les principales villes de la Chine côtière. Les implications politiques sont incalculables, sans parler des risques écologiques. Les experts, consultés dans l'urgence, ont répondu que tout l'hémisphère Nord pourrait devenir à terme invivable pour l'homme, si une attaque nucléaire de cette ampleur était déclenchée. 
 
Le Président des Etats-Unis réfléchit. Il se souvient qu'en 1956, lors de la crise de Suez, Nikita Kroutchev, numéro un soviétique, avait menacé Londres et Paris d'une attaque atomique si l'intervention dans la zone du canal ne cessait pas. La menace avait porté car la France et le Royaume-Uni avaient retiré leurs corps expéditionnaires, ce qui avait permis au président égyptien Nasser, de remporter une grande victoire politique. Peut-être ici suffira-t-il de refaire le même coup ? Peut-être ? 
 
Georges Bush consulte donc ses conseillers qui donnent leur avis, puis fait préparer un message pour les dirigeants chinois : 
 
"CONSIDERANT QUE L'AVENTURE MILITAIRE DANS LAQUELLE S'EST LANCEE LA CHINE POPULAIRE EST CONTRAIRE AUX INTERETS ET A LA PAIX DU MONDE, JE VOUS LAISSE DEUX HEURES POUR ARRETER LA GUERRE CONTRE TAÏ-WAN. PASSE CE DELAI, LES ETATS-UNIS SE RESERVENT LE DROIT DE DECLENCHER UNE FRAPPE NUCLEAIRE CONTRE LE TERRITOIRE CHINOIS. 
SIGNE: GEORGES WALKER BUSH, PRESIDENT DES ETATS-UNIS D'AMERIQUE". 
 
Les cent-vingt minutes les plus angoissantes de l'histoire de l'humanité viennent de commencer.