Certitude
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© Jean-François COUBAU
Il était là, ancré dans ses certitudes. 
 
Dans la nuit noire, sur les bords du Rio Conchos, quelque part dans la jungle colombienne, il était la sentinelle avancée du cartel qui contrôlait le trafic de drogue dans cette région. 
 
La somme que le gang lui allouait, permettait de le faire vivre confortablement. Il ne se posait pas la question de la moralité de la chose. Cette donnée n'existait plus depuis longtemps. 
 
Ses certitudes se limitaient à son job, uniquement. 
 
Il était le bastion avancé, permettant de détecter toute attaque de la police et de prévenir les chefs du cartel, qu'il fallait activer la défense. D'ailleurs, par deux fois, il avait joué son rôle, la défense du gang, s'était déployée de manière tellement efficace, que les forces de l'ordre avaient dû battre en retraite, non sans laisser des morts sur le terrain. 
 
Grâce à lui, le trafic avait pu continuer, et ses chefs l'avaient récompensé d'une belle prime. 
 
Il n'avait rien à faire, si ce n'est voir et écouter. 
 
Mais il avait les moyens pour ça. 
 
Sur sa tête, reposait un casque en kevlar, à l'épreuve des balles. Le gilet pare-balles et les plaquettes de même métal, montées dans ses vêtements, le rendaient quasi invulnérable aux armes légères de guerre. 
 
Des bottes de para de l'Armée Française, les "meilleures du monde" disait-il, le chaussaient. 
 
Le treillis basse visibilité, le rendait quasi invisible dans les taillis de la jungle. Ses oreilles étaient équipées d'amplificateurs de sons. Il pouvait capter des bruits d'aussi faible intensité qu'un froissement de papier à deux cent mètres. 
 
Devant ses yeux, une paire de lunettes à amplification de brillance, lui montrait le paysage comme en plein jour. 
 
Son arme était un "railgun" à caméra thermique pouvant percer la nuit. Ce fusil d'assaut à balles propulsées par induction électromagnétique, lui permettait de tirer plus loin que n'importe quel fusil de la police. Celle-ci l'avait constaté à ses dépends. La visée laser autorisait une grande précision. 
 
Sur la manche, un simple bouton à presser en cas de danger. Une impulsion radio, montant par satellite et donc ne pouvant être brouillée, avertissait le cartel du danger imminent. 
 
Toute cette "hyper technologie" coûteuse, fournie par les gangsters leur donnaient la certitude qu'ils ne pourraient jamais être pris par la police. 
 
Et lui, avait fait sienne cette certitude, c'était même devenu un dogme. 
 
Il était donc là, à monter la garde. Invincible, invulnérable, il était les yeux et les oreilles de ses maîtres, pendant que ceux-ci profitaient de leur argent sale. 
 
"Robocop" est dépassé, se disait-il en souriant. 
 
On ne pouvait rien faire contre lui. N'importe qui approchant aurait été repéré et éliminé physiquement en moins de deux. 
 
Cette certitude était une évidence pour lui, et rien ne saurait la remettre en question. 
 
Rien ? 
 
Était-ce certain ? 
 
Ce qu'il avait oublié, ainsi que ses maîtres, c'est que dans la police colombienne, on avait des cerveaux et qu'on savait s'en servir. Et tout le monde savait que les systèmes de repérage ne peuvent percer l'eau. Ce qu'il y a dans l'onde est invisible. 
Précisément, dans le cours de la rivière, nageait un homme en simple pagne. Un indien, au service des policiers, et entraîné à la brasse en apnée. 
 
 
La sentinelle ne voit rien, mais l'indien l'observe, car la jungle n'est pas un problème pour lui, contrairement à l'Homme Blanc. 
 
Bardé de certitudes, le garde est trop confiant. 
 
La ruée de l'indien hors du rio est tellement rapide qu'il ne peut réagir. Une clé au cou, et sous le poids du nageur, le voyou qui chute. De plus son équipement est tellement lourd qu'il ne peut remonter. 
 
La certitude que la seule technologie est solution à tout, vole en éclat. L'intelligence dépassera toujours la technique.  
 
Au moment où l'eau entre dans ses poumons, il sait qu'on ne peut avoir qu'une seule certitude dans la vie, c'est qu'il n'y pas de certitude.