Elodie avait toujours eu peur de mourir noyée. Un jour, alors qu'elle était en CM2, la maîtresse proposa comme activité : la voile. Bien sûr, toute la classe sauta de joie. Toute, non, pas Elodie. Le mois suivant, quand arriva le jour où ils devaient montrer leur qualité de nageur pour pratiquer ce sport, Elodie, toute tremblante, refusa de se laisser tomber en arrière la tête première dans l'eau comme l'examinateur le lui demandait. L'enseignante lui conseilla de s'entraîner à la piscine et de demander un diplôme après avoir pris des cours.
Elodie passa encore quelques jours avec sa peur, et quand la journée tant redoutée arriva, elle se dit :
- Du calme, Elodie, tu vas y arriver !
Mais elle avait tord. Pour commencer, le moniteur lui demanda de sauter dans la piscine en partant de la position assise. Il avait lu sa crainte dans ses yeux et tentait par ce moyen de l'habituer à plonger. Elodie s'assit mais pour sauter dans l'eau s'accrocha au bord.
- Tu ne dois pas te tenir, la gronda le moniteur.
Il partit chercher une bouée en forme de ceinture et la tendit à Elodie. Un peu vexée qu'on la traite comme un bébé, la fillette montra ses qualités de nageuse en parcourant sans s'arrêter toute la longueur du bassin. Le moniteur lui demanda alors de remonter. Ce qu'elle fit.
- Cette fois, tu vas sauter, allez ! lui ordonna-t-il lorsqu'elle fut hors de l'eau.
Elodie jeta un œil désespéré vers son père.
- Allez ! répéta le moniteur en l'entraînant vers le bord de la piscine. Saute !
Terrifiée, Elodie resta figée sur place. Ses bras étaient croisés, sa tête baissée et ses dents claquaient. Le moniteur renonça et la ramena vers son père.
- Désolé, Monsieur, dit-il. Mais il ne faut pas la forcer, sinon elle risque de prendre l'eau en horreur.
Bien entendu, elle n'obtint pas le diplôme pour accéder aux leçons de voile, plonger étant obligatoire.
Elle continua donc son année sans pratiquer cette activité. Chaque vendredi, elle regardait avec envie ses camarades de classe partir vers la mer, un sac de plage à la main. Elle rentrait chez elle et commençait ses devoirs pour le lendemain.
Mais l'année scolaire touchait à sa fin et la perspective d'aller au collège l'année suivante devenait de plus en plus probable. De mois en mois, la crainte d'Elodie augmentait. En 6ème, au collège, trois mois de piscine étaient au programme. Et d'après sa sœur aînée, les professeurs impitoyables.
" Je vais me noyer, je vais me noyer, pensait-elle. Je ne veux pas aller au collège ".
La crainte d'une noyade la hantait tellement qu'elle en rêvait la nuit, se réveillant au petit matin en sueur.
- Non, je veux pas aller au collège.
Et ce qui devait arriver, arriva. Le 2 septembre 2005, Elodie fut admise en 6ème. Le 7 septembre, elle allait commencer les cours de piscine. Ce jour-là, en passant devant le pont qui menait au collège, elle aperçut l'eau de la rivière qui coulait dessous. Sa crainte de ce qui allait se passer à la piscine atteignit son paroxysme. Elle courut en pleurant jusque chez elle. Voyant son grand désarroi, ses parents l'emmenèrent voir un médecin.
Le Docteur Angel exerçait sa profession, rue du Bananier, résidence n°3.
- Veuillez patienter dans la salle d'attente, leur dit la femme d'accueil.
La famille d'Elodie s'installa sur des fauteuils rouges. Ses parents prirent des magazines, Elodie attendit anxieuse en se tordant les mains.
Au bout d'une longue heure, le médecin vint les chercher :
- Elodie Tomson.
Tous entrèrent dans le cabinet du Docteur.
- C'est pour quoi ?
Ses parents lui expliquèrent le problème. Le médecin marqua une dispense :
" Elodie ne peut pas faire piscine parce qu'elle ne sait pas nager et aussi parce qu'elle a peur de l'eau. "
Peur de l'eau, ce n'était pas vrai, mais ça pouvait l'empêcher d'aller au cours de sport, Elodie ne demandait pas mieux.
Les parents payèrent la consultation puis ils partirent. Elodie grandit avec sa peur.
Quand elle eut 16 ans, elle alla fêter son anniversaire chez sa meilleure amie Maude qui habitait près du collège.
En passant sur le pont, elle aperçut un petit garçon d'environ trois ans qui jouait. Plus loin, sa mère bavardait avec une autre femme sans faire attention à lui. Elodie s'étonna qu'un petit aussi jeune puisse s'amuser près de l'eau sans que sa mère ne le gronde pour éviter la noyade. Comme elle l'avait prévu, l'enfant au bout d'un certain temps tomba à l'eau et cria à l'aide.
Sans réfléchir, Elodie plongea. La rivière était glacée. Le courant l'entraînait, elle et le petit garçon. L'enfant commençait à couler. Elle le prit d'un main ferme et, de l'autre, essaya de nager. Avec difficulté, elle le ramena sur la terre.
Elle eut du mal à se relever, très fatiguée par ce qu'elle venait d'accomplir. Mais la mère de l'enfant vint l'aider et la remercia chaleureusement. Un peu plus loin, une foule gens qui avaient assisté à la scène l'applaudirent et l'acclamèrent.
Elodie avait vaincu sa peur de plonger.