Il la suivit du regard lorsqu'elle traversa le hall de l'hôtel pour se rendre dans le grand salon où une vingtaine de touristes, contents d'être enfin arrivés à bon port, commentaient à grand bruit la tempête qu'ils venaient d'essuyer tout au long de leur route.Dehors, le tonnerre grondait toujours poursuivant les éclairs qui furieusement venaient frapper les grandes baies vitrées. Un bulletin d'information venait d'annoncer que, suite à des éboulements, certaines routes étaient coupées et la circulation interdite sur une partie de la région ; on pouvait s'attendre à des coupures de courant. Mieux valait rester à l'abri et respecter les consignes. On s'activait déjà autour des petites tables pour y déposer des bougies au cas où… C'est sûr, ce soir, personne ne sortirait de l'hôtel. Touristes et clients allaient devoir se côtoyer et demain qui sait… Une lueur d'espoir lui traversa l'esprit : c'était peut-être le moment rêvé pour oser enfin l'aborder. Il était arrivé en fin de matinée, le mauvais temps l'avait contraint de s'arrêter et de retarder le rendez-vous qui l'attendait quelques kilomètres plus loin. Était ce un autre rendez vous que le hasard lui fixait en la personne de cette jeune femme qui l'obsédait depuis ce midi tandis qu'elle déjeunait tranquillement, le regard absent, ne semblant voir que son assiette et les pages du livre qu'elle parcourait entre deux bouchées ? Son regard l'accompagna avec plus d'insistance lorsqu'elle se dirigea vers le bar et c'était comme si, malgré lui, allant au rythme de son corps, il en épousait tous les mouvements. Complètement hors du temps, il s'élança alors comme si une main invisible plaquée dans son dos l'avait projeté en avant étirant sur ses lèvres un sourire béat.
Murielle, accoudée au bar, imperturbable à l'orage et au brouhaha des nouveaux arrivants, s'apprêtait à déguster sa vodka lorsque Marc s'approcha…
- Vous permettez ?
- Je vois que vous aussi vous vous êtes éloigné du buffet. Asseyez- vous ; il y a bien assez d'espace pour nous deux dans ce coin. Vous souriez toujours comme ça ?
- Je ne sais pas … c'est peut-être votre charme qui opère sur moi : le fait de vous voir, d'être près de vous qui sait…
- Vous me faites quoi là ? C'est l'orage qui vous inspire !
- Peut-être. C'est bien l'orage qui m'a fait atterrir ici, dans cet hôtel que je ne connaissais pas, et qui fait que : depuis que je vous ai aperçue, ce midi, entrain de déjeuner en dévorant un bouquin qui semblait vous captiver, vous occupez toutes mes pensées.
- Et vous portiez un pull à col roulé gris.
- Vous me surprensez ! Permettez-moi de me présenter -Marc Hésita une seconde- puis : Nicolas... Nicolas Ré...
- Nicolas suffira. Pourquoi cette hésitation ? Moi c'est Murielle. Ne craignait rien, je ne vais pas vous décortiquer !
- Vous faites toujours plusieurs choses à la fois ? Vous mangez, vous lisez, vous observez…
- Si on allait s'installer plus confortablement ? Vous prenez quelque chose ?
Le barman s'approcha :
- Comme vous, une vodka Perrier… si cette table vous convient …
- Je vous suis… Je commence à avoir une petite faim, pas vous ?
- Je vais essayer de m'approcher du buffet… surtout ne bougeait pas !
Marc s'éloigna et Murielle en profita pour tenter une énième fois de joindre le rendez vous qui l'attendait elle aussi à quelques kilomètres de là ; mais rien à faire, aucun réseau, les communications ne passaient pas. Elle essaya tout de même un message :
" N'ai pas pu arriver jusqu'à vous. Route Impraticable jusqu'à demain matin. Bloquée dans un hôtel à quelques Kilomètres de notre rendez-vous. Attendez- moi. Tout est ok ".
C'est Marc à son tour qui, à l'abri des regards dans un coin du buffet, perdu dans les petits fours, consultait son téléphone. Un message s'affichait :
" Où es-tu Marc ? Je sais que la circulation est bloquée. Sommes arrivés. Rien à signaler pour l'instant. Auberge discrète. Attendons notre homme qui ne semble pas vouloir se montrer. Vu la situation rien ne se passera ce soir. Rejoins-nous dès que tu peux ".
Il cliqua sur répondre et fit parvenir ce message à ses coéquipiers : " Orage violent. Arrêt forcé dans un hôtel. Pas loin. Restez vigilants. Arrive dès que possible ". Il referma son téléphone et alors qu'il s'apprêtait à se saisir de quelques toasts à l'aspect alléchants, une pensée, entre ceux-ci et ses papilles gustatives s'interposa ; une pensée qui lui sembla comme un avertissement : intuition ou habitude ? Il fut tout à coup troublé par une petite voix qui disait : " Tu devrais te méfier ! " Son instinct de policier reprenait le dessus. Il tourna la tête et son regard rencontra celui de Murielle qui à cet instant précis se demandait : " Qui est ce type ? Et qu'est-ce qu'il me veut ! Elle savait qu'elle avait réussi pour un temps à brouiller les pistes et qu'il lui fallait être très prudente : ne pas se faire remarquer, ne parler à personne et voilà qu'elle venait d'en changer les règles ; pourquoi ? Sa dernière opération avait failli lui coûter la vie et elle avait eu du mal à convaincre son commanditaire et lui assurer que, cette fois ci, tout se passerait bien. Et tout s'était déroulé comme prévu : la villa était déserte, ses riches propriétaires partis pour une réception de gala, la combinaison du coffre-fort… son commanditaire avait bien fait les choses. Tout était parfait. Presque trop parfait. Après tout pourquoi pas ? En quelques secondes, elle avait revécu toute l'opération : alors pourquoi ce soupçon d'inquiétude tout à coup ? Elle n'eut pas le temps d'y répondre, Marc était devant elle, une assiette de toasts dans chaque main. Les yeux dans ses yeux, tout en lâchant son téléphone, Murielle lui sourit en pensant : -" Qu'est ce que tu me veux toi avec tes gros sabots et ton sourire béat ! "
Marc se rappela soudain que lui aussi avait besoin de téléphoner.
- Vous avez pu joindre quelqu'un ? Il fit mine à son tour de chercher son portable… je croyais l'avoir mis dans ma poche… j'ai du le laisser dans mon imper ; vous me donnez quelques minutes…
- Mais je vous en prie…
Porté par sa conscience professionnelle, ses jambes l'emmenèrent tout droit vers la chambre de Murielle. Serrure ordinaire, il n'eut pas de mal à y entrer. Très vite, il se rua sur sa valise qui était bien en vue. Il se dit qu'apparemment elle n'avait rien à cacher. C'est quand il ouvrit son sac que le nom inscrit sur le passeport lui sauta à la figure : celle, qui depuis des mois se jouait de la police, était assise en face de lui ; celle, qu'il était censé aller cueillir avec son commanditaire - peu scrupuleux, qui l'avait donnée pour alléger sa future peine de prison - l'avait complètement séduit. Il referma sac et valise et se saisit du passeport qu'il emporta. Il revint lentement vers Murielle qui ne reconnut pas son regard.
- Une mauvaise nouvelle ?
- Il l'a regarda… il était triste tout à coup mais…
- Non, excusez moi… alors, ils sont comment ces petits fours !
- Délicieux !
La soirée se prolongea tard dans la nuit. Leur conversation entrecoupée de vodka - à croire que celle-ci, faisait partie de leur quotidien - ne laissa transpirer aucun secret de leur vie privée. Au moment d'entrer dans leur chambre respective, ils se regardèrent. Marc - la bouteille, avec un reste de vodka, dans la main - parla le premier :
- La vôtre ou la mienne ?
- Murielle hésita un instant puis : " Je vous rejoins. Donnez- moi quelques minutes ".
- Vous n'aurez qu'à entrer, la porte sera ouverte.
Une fois dans sa chambre, Murielle assise sur son lit se dit que… C'est quoi cette histoire … Non ! Il faut que je fasse quelque chose ! Je n'ai pas l'habitude de lâcher prise au moment où je devrais garder toute ma lucidité ! Je dois trouver une solution pour me libérer en douceur de cette situation. Elle ouvrit sa valise, fouilla dans son sac et en sortit un petit flacon quelle mit dans la poche de son pantalon : avec ça, il devrait dormir jusqu'à demain midi.
Quant à Marc, une fois sa porte refermée, se hâta à son tour, de prendre dans sa trousse de toilette, ce petit flacon compte-goutte dont le produit venait à bout de ses insomnies - 3 ou 4 gouttes ne dépassait surtout pas la dose prescrite lui avait dit son docteur - Il la doubla pour la mélanger au reste de vodka ; reboucha la bouteille, posa deux verres sur la petite table avec ce mot : je suis sous la douche, faites comme chez vous. Il se dépêcha d'aller rouvrir sa porte, ramassa toutes ses affaires et s'enferma dans la salle de bain.
Lorsque Murielle poussa la porte et pénétra dans la chambre de Marc, celui-ci était toujours sous la douche ou du moins, l'eau coulait. Elle aperçut la bouteille, les verres et le mot : faites comme chez vous. - C'est parfait se dit-elle - il restait suffisamment de vodka, elle s'empressa d'en remplir les verres et versa, dans celui réservé à Marc, la moitié du flacon qui était supposé le faire dormir profondément puis, tendant l'oreille, elle alla frapper à la porte de la salle de bain :
- Nicolas ?
- Je suis à vous dans une minute.
Elle se précipita alors sur le verre qu'elle se destinait, les yeux fixés sur la porte qui allait s'ouvrir. Marc apparut les cheveux et le torse encore mouillé, un drap de bain noué sur les hanches :
- Ouah ! Pas mal, après le sourire …
Mais voilà que le drap de bain glissa et Marc….Tout à coup, troublée plus qu'elle n'osa se l'avouer, Murielle avala d'un trait son verre de vodka. Le temps que Marc ramasse son drap de bain et se recouvre, elle s'affaissait dans ses bras. Il la souleva, l'allongea sur son lit, s'habilla rapidement et se rendit dans sa chambre pour y subtiliser valise et tout ce qui la concernait. De retour, il se pencha sur elle, lui tata le pouls… elle dormait d'un sommeil de plomb ! Il entreprît alors de fouiller minutieusement toutes ses affaires ; mais il eut beau vider, retourner valise et sac dans tous les sens, le précieux butin était introuvable. Il s'assit sur le bord du lit et la regarda : - "Où as-tu mis les diamants, ma jolie ? Pas dans la valise, pas dans ton sac… je suis désolé mais je vais devoir te …décortiquer ! " Il commença par remonter le long de ses jambes, il n'eut pas à aller bien loin : à mi-chemin, arrivé à la taille, sous le pantalon, une rigidité l'intrigua ; il souleva son pull over, une large ceinture de cuir l'enveloppait : -" Et voilà ! Simple et classique quand on croît ne rien risquer ! " Il tira sur les bandes velcro qui la maintenaient et la fit glisser avec précaution ; à l'intérieur de la ceinture courait, tout le long du cuir, une fermeture éclair qu'il ouvrit. Un à un, bien alignés, retenus par du scotch, les diamants étaient là. Il la regarda à nouveau et tout en dégageant une mèche de ses longs cheveux qui lui barrait le visage, il pensa : - " Qu'est ce que tu vas devenir derrière les murs d'une prison ? " Il remit tout en place, rangea valise et sac, mit sa découverte en lieu sûr puis alluma une cigarette. Il était 4 heures du matin. L'unique fauteuil de la pièce lui tendait les bras, il s'y laissa tomber avec toutes les pensées qui affluaient dans sa tête. Il n'était pas triomphant.