Le dernier amistice
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© Jean-François COUBAU
- Voilà, c'est terminé. 
 
Ainsi s'exprimait la Secrétaire Générale de l'ONU, la japonaise Kumi Arisawa. En ce 8 juin 2094, un grand événement, retransmis en direct par toutes les télévisions du monde, se déroulait dans l'hémicycle des réunions. En effet à cet instant, Margaret Buthewesi la présidente du Zimbabwe, dernier pays par ordre alphabétique, venait de parapher un document où on pouvait voir toutes les signatures des chefs d'état de ce monde. 
 
C'est que la chose était d'importance. Par ce traité, tous les dirigeants de ce monde renonçaient pour toujours à l'usage de la force armée pour régler les différents entre états. Un des plus vieux rêves de l'humanité, abolir la guerre, était devenu une réalité. 
 
La Secrétaire Générale lança alors : 
 
- Nous avons signé là, le dernier armistice, où le vaincu est la guerre et le vainqueur, l'humanité. 
 
La formule resterait aussi célèbre que " C'est un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l'humanité ", prononcée par Neil Armstrong lors du débarquement sur la Lune. Aussitôt, un énorme applaudissement éclata et dura plus de vingt minutes. Lorsqu'il s'arrêta, on passa à la partie festive. Un immense cocktail venait de réunir le gratin des dirigeants du monde aussi bien politique qu'économique ou religieux. 
 
Kumi Arisawa avait les larmes aux yeux. Lorsque la fête fut terminée, elle se retira dans ses appartements privés et s'assit à son bureau. Elle ouvrit son micro-ordinateur personnel et le mit en marche. Saisissant son laryngophone, elle le brancha et commença à parler. Le système transformait les sons de la voix en mots, plus besoin de saisir au clavier. 
 
- "Moi, Kumi Arisawa, Secrétaire Générale de l'ONU, j'écris un résumé des circonstances qui ont conduit à la signature de ce traité abolissant la guerre. Tout commença en 2045, pour le centième anniversaire de la fin du second conflit mondial, qui restera comme le plus meurtrier de tous les temps. L'ONU avait fini par comprendre qu'arrêter une guerre exigeait des moyens énormes. Les fameux Casques Bleus se faisaient régulièrement massacrer car on les dotait toujours d'un armement insuffisant par peur de ne pas effaroucher les pays concernés. Les états devenaient de plus en plus réticents à fournir des soldats, ne voulant pas les voir revenir morts. Il avait fallu prendre une décision ". 
 
Elle fit une pause et reprit : 
 
- " A cette époque, le réchauffement climatique atteignait son point culminant. Mais il avait eu des effets bénéfiques. Le Groenland se retrouvait sans glaces, celles-ci ayant fondu. L'ONU avait acheté la plus grande partie de ce territoire au Danemark, qui n'avait fait aucune difficulté pour la vente. L'Organisation s'y était installée. Aussitôt, elle avait fait appel aux plus grands savants du monde notamment en matière d'aéronautique et de physique des hautes énergies. Pendant quinze ans, dans le plus grand secret, elle avait mis en place ce qu'il fallait bien appeler un complexe militaro-industriel. Ce qui était un paradoxe car cette organisation supra nationale devenait un état, un peu comme le Vatican ". 
 
Elle fit une sauvegarde des informations puis continua : 
 
- " En 2060, tout était prêt. Le Secrétaire Général de l'époque, le Tunisien Abdellatif ben Mabrouk lança son fameux mot d'ordre : " Mort à la guerre ". Un manifeste l'accompagna, postulant qu'un chef d'état ou de gouvernement déclarant la guerre, serait immédiatement " éliminé ". Et pour montrer sa détermination, on fit une démonstration des capacités de frappe de l'ONU. En effet, les savants et ingénieurs œuvrant au Groenland, avaient dans le domaine de l'aéronautique fabriqué des avions de combat dit " ionosphérique ", c'est-à-dire capable de décoller comme des appareils classiques, d'entrer dans l'ionosphère et là, grâce à l'absence d'air, de foncer sur n'importe quel point du globe et de l'atteindre en une demi-heure ! ". 
 
Le visiophone sonna et elle décrocha. Sur l'écran, elle reconnut la Présidente française, Paule Persigny, qui la félicita du succès de la journée. Immédiatement, elle eut un autre appel, du Premier Ministre canadien, Jean Lechantre, qui souhaitait la voir demain. Elle lui fixa rendez-vous et raccrocha. Elle reprit sa dictée : 
 
- " Les avions ionosphériques étaient armés bien sûr. Les savants recrutés avaient mis au point des lasers à hautes énergies et on les avait installés sur les appareils. En fait, ces "grosses têtes" avaient simplement repris les travaux de leurs prédécesseurs du vingtième siècle ayant travaillé sur des dispositifs comme que le THEL ( Tactical High Energy Laser) et les avaient améliorés. L'escadrille prit donc l'air et se dirigea vers un coin désert du Groenland. Au-dessus du permafrost, un des appareils tira une seule fois, mais ce fut concluant. Un entonnoir de laves bouillonnantes d'un kilomètre de profondeur et de diamètre apparut. Les caméras de télévisions du monde montrèrent le phénomène à la stupéfaction des humains. Les fauteurs de guerres n'avaient qu'à bien se tenir !". 
 
Kumi Arisawa se leva pour boire un verre d'eau et se détendre quelques minutes. Puis elle revint à son bureau et enchaîna : 
 
- " Bien entendu, les chefs d'états protestèrent devant ce qui leur semblait être une remise en question de leurs prérogatives. Les Nations Unies devaient préserver la paix et non déclencher la guerre. Les Etats-Unis, dirigés par le président ultra-conservateur, John Austen, déclarèrent qu'ils ne pouvaient tolérer une pareille menace. Une escadre de quatre porte-avions de la flotte de l'Atlantique prit donc la mer pour se diriger vers le Groenland. Mais l'ONU veillait. Un seul bombardier ionosphérique arriva à cent vingt kilomètres au-dessus des groupes de combat états-uniens. Hors de portée de tir des bateaux, l'appareil lança son terrible dard devant le porte-avions " Ronald Reagan ". A la vue de la mer bouillonnante et de l'eau se vaporisant, l'amiral commandant le dispositif décida " d'un repli stratégique ". Les Russes ricanèrent bien fort, les Chinois et les Indiens se contentèrent de rire doucement et poliment ! ".  
 
La Secrétaire s'interrompit en souriant car l'épisode connu dans les livres d'Histoire comme " la bataille du Groenland " , se terminait d'une manière comique, chose unique ! Elle continua : 
 
- " Bien entendu, il fallait bien qu'un chef d'état irresponsable essaye de démontrer que le dispositif onusien de s'appliquait pas à lui. Et c'est ainsi que sur la Terre de Feu, partagée entre le Chili de l'Argentine, on avait trouvé du manganèse. On avait commencé à creuser des mines et chacun prétendait tout garder pour lui. Le ton monta et des troupes d'élites se massèrent des deux côtés de la frontière. Aussitôt, deux bombardiers aux couleurs de l'ONU décollèrent de la base de New-Thulé. En moins d'une demi-heure, ils furent au-dessus de Buenos-Aires et de Santiago. L'ordre de tirer fut donné et les palais des deux gouvernements furent réduits en cendre. On avait calculé la puissance du rayon pour ne pas avoir de dommages collatéraux sur les civils. Le président argentin Bernardo Lucques et son état-major politique furent transformés en rayonnement. Côté chilien, ce fut la répétition du même scénario, sauf que le président Armando Voltero échappa par miracle au " feu du ciel " et fut retrouvé errant dans les ruines du palais de la Moneda. On dut l'enfermer dans un asile car il avait perdu la raison. Des deux côtés, des politiciens responsables déclarèrent entamer des discussions pour partager les ressources. Ce fut la seule démonstration de force, mais elle suffit. Pas un seul soldat n'avait perdu la vie ". 
 
Kumi s'étira car elle commençait à fatiguer. La journée avait été chargée. Néanmoins, elle se dit qu'il fallait conclure. 
 
- " Voilà, on avait enfin trouvé la solution. Pour éviter les guerres, au lieu de désarmer comme le prétendaient les " pacifistes ", il fallait simplement qu'une organisation supra nationale élimine les fauteurs de troubles. Ah, si on avait disposé de ces armes devant Adolf Hitler ! Mais en complément de ce dispositif, l'ONU mit en place une action visant à sensibiliser les chefs d'état à la culture du partage. Au lieu de tout garder pour lui, un pays devait apprendre à échanger avec les autres. Si, comme l'avait dit le maréchal Von Clauzewitz au dix-neuvième siècle, " La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens ", alors on devait faire de la politique autrement. Certes, le mouvement fut lent à s'accomplir, mais en quarante ans, tout le monde se rendit à l'évidence. Il fallait en finir avec des millénaires de sang et de massacre. Et petit à petit, tout le monde avait accepté les conditions des Nations Unies. Jusqu'à la cérémonie de ce soir ". 
 
Lorsqu'elle eut terminé sa dictée, elle referma son micro-ordinateur et se leva. Elle se dirigea vers la baie vitrée et vit en contrebas, le port de New-York. Les feux d'innombrables navires s'entremêlaient car la nuit venait de tomber. Songeant aux événements de ces dernières heures, elle se dit : 
 
- Enfin la chance va commencer à sourire à l'Humanité. Les dix-neuvième, vingtième et vingt-et-unième siècles ont été particulièrement sanglants. Le vingt-deuxième qui va s'amorcer dans quelques années sera-t-il épargné par la guerre ? Ce serait peut-être le premier d'une longue série. Il faut le souhaiter. 
 
Levant les yeux sur la voûte céleste, elle contempla le scintillement des étoiles. Cette chaude nuit de juin serait sans doute une des plus belles que l'Homme aurait connue. Les astres semblaient lui cligner malicieusement des yeux. Son regard plongea ensuite dans le noir de l'espace.  
 
Ce qu'elle ne pouvait voir, c'est qu'au même instant, près de l'orbite de Pluton, dernière planète du système solaire, venait d'émerger de l'hyperespace, la flotte spatiale de guerre des Alglogs, race insectiforme et dangereuse, qui arrivait pour envahir la Terre !