Le cassoulet de Castelnaudary
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© Jean-François COUBAU
Monsieur et Madame Tahétiko Tomita de Yokohama ( Japon ), leurs fils Yoshi, leurs fille, Kumi et la sœur de madame, Hiromi, regardaient avec stupéfaction le plat de cassoulet, que venait de poser sur la table, la belle Marion, serveuse dans le meilleur hôtel restaurant de Castelnaudary, " Au bon cassoulet ". 
 
Leurs yeux s'agrandirent de surprise, lorsqu'ils humèrent la délicieuse odeur, à la vue des haricots blancs, plongés dans le jus bouillonnant.  
 
- Mon dieu, dit la mère, mangent-ils donc ça ? 
 
- Mais oui, dit le père, un jour à Paris, j'en ai commandé dans un restaurant, mais on m'a dit que c'était une spécialité de cette région, c'est pourquoi nous sommes ici pour la goûter. 
 
- J'en voudrai papa, supplia la petite Kumi. 
 
Monsieur Tomita fit signe à Marion, qui servit les convives. Puis, le sommelier versa aux adultes un verre de " Château Maresque Traditionnel 2002 ", que le père dégusta avec un plaisir évident. Une fois les assiettes pleines, les enfants se mirent à manger et au bout de quelques bouchées, les visages exprimaient une grande satisfaction. Monsieur Tomita avait aussi attaqué et souriait de plaisir. Madame commença à goûter, fit une grimace et s'arrêta net. Ses yeux venaient de se poser sur sa sœur. 
 
- Eh bien, Hiromi, tu ne manges pas ? 
 
La réponse fut inaudible ! 
 
- Je vous en prie, mangez Hiromi, lança le père. N'offusquez pas nos hôtes. 
 
La réponse fut inaudible ! ( bis repetita ). 
 
Dans son coin, Marion souriait un peu ironiquement. À la table voisine, un groupe d'environ vingt chasseurs avaient quasiment terminé leur repas pantagruélique et racontaient des blagues . . . que l'on pourrait qualifier de " grasses ". Heureusement que les Japonais ne comprenaient pas le français ! Puis, les adeptes de Saint-Hubert se mirent à chanter et un avion à réaction décollant à l'instant n'aurait pas été entendu. 
 
- Que de bruit ! lança agacée, la glaciale Hiromi. Ces gens-là n'ont aucune éducation !  
 
- Mais non, répondit le père. Ce sont de braves gens qui chantent car en France, tout finit par des chansons ! Ils sont contents car ils ont bien mangé, c'est leur culture. 
 
- Alors, enchaîna madame, veux-tu goûter ce plat, juste une bouchée. Finalement, ce n'est pas si mauvais. 
 
- Jamais je ne mangerai de cette horreur, répondit Hiromi. 
 
- Tu ne vas pas te coucher sans prendre quelque chose, dit madame. 
 
À ce moment, Marion s'approcha car elle avait compris qu'il y avait un problème. Après moult discussion et vague traduction dans un mauvais anglais, on apporta à la sœur . . . un radis et un yaourt ! 
 
- Eh bien ma belle, pensa la serveuse, tu ne deviendras pas obèse ce soir ! 
 
Finalement, pour le reste de la tablée, tout se passa bien. Monsieur reprit du cassoulet, ainsi que ses enfants. Le dessert, des profiteroles au chocolat, fut acclamé par les convives, sauf bien sûr par la rigide sœur ! La bouteille de vin était vide, car elle avait connu un franc succès. Quant à la sœur, un verre de Château-Lapompe avait largement suffit à sa désaltération ! Pauvre Hiromi ! 
 
- Ah les chasseurs s'en vont, songea Marion. 
 
En effet, ces hommes se levaient pour enfiler leurs vestes. Au passage, ils saluèrent la famille japonaise qui répondit de son mieux. L'un d'eux, un prénommé Serge, beau blond aux yeux clairs, lança un regard un peu " appuyé " à Hiromi, qui le remarqua et se figea comme si un peloton d'exécution s'apprêtait à ouvrir le feu sur elle ! La serveuse, qui avait tout vu, souriait intérieurement. 
 
- Mais pourquoi est-elle si coincée ? 
 
La fin de soirée approchait et les convives se levèrent pour regagner leurs chambres. Petit à petit, les lumières s'éteignirent et l'on s'endormit du sommeil du juste. 
 
Ce fut vers deux heures du matin, que monsieur Tomita fut réveillé par les pleurs de son petit garçon. Sautant du lit, il arriva vers l'enfant, juste pour le voir ouvrir des yeux désorbités. Manifestement, il avait envie de vomir. 
 
- Je le savais que cette nourriture ne lui conviendrait pas, lâcha la mère. 
 
- Bon ça va, dit le père, je vais l'emmener aux toilettes dans le couloir pour le faire vomir. 
 
Joignant le geste à la parole, il sortit et se dirigea vers le " petit coin ". Pendant que l'enfant vomissait, le père se retourna et vit avec stupéfaction la porte de la chambre de sa belle-sœur se refermer. N'ayant pas allumé la lumière du vestibule dans un souci de discrétion, il ne vit qu'une ombre se couler dans l'escalier. Ramenant son fils à la chambre, il mit son épouse au courant. 
 
- Tu crois qu'Hiromi est sortie, dit celle-ci. Pour aller où ? Rejoindre cet homme qui l'a regardé à la fin du repas. 
 
- Ta sœur avec un homme ? C'est aussi vraisemblable qu'une république soviétique au Japon ! 
 
Madame grimaça, mais finit par reconnaître que son mari avait raison. 
 
- Je vais voir où elle est, dit le père. 
 
- Sois prudent, quand même. 
 
Monsieur descendit donc les marches d'escalier dans la plus grande discrétion. Guidé par une lueur venant du rez-de-chaussée, il se dirigea vers celle-ci. Ouvrant la porte avec précaution, son regard plongea dans la cuisine. Quelle ne fut pas la stupéfaction de monsieur Tomita, lorsqu'il découvrit un étrange spectacle. Sous le regard rigolard de Marion, Hiromi engloutissait avec un plaisir évident, une grande assiette de . . .  
. . . de cassoulet de Castelnaudary, bien sûr !