Le balcon du rêve
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© Marie-Paule CHARLES
Elle s’avança vers le balcon froid à la nature défleurie. Ni bleu prometteur ni vert vibrant. Rien que le plomb gris d’un ciel flottant sans le murmure bleuté de la mer, sans l’odeur âcre des vagues vert émeraude. Rien que des immeubles aux couleurs délavés, rien que des toits plats inélégants. Un matin terne où les hallucinations créent des vibrations de couleurs sur le bitume gris et sale des rues, là-bas, tout en bas. 
 
Elle, aux rêves trop vastes pour la ville, elle, à l’imagination trop colorée pour les tours ternes, voudrait dessiner des oiseaux aux tons moirés, peindre des vagues dont le vert et le bleu cogneraient sur des rochers luisant sous l’orange doré du soleil couchant. 
 
Elle est seule. Sans son jeune fils. Elle enfile un manteau couleur de brume, pour se perdre dans la ville. Elle court. Elle revient les bras chargés de pinceaux, de tubes de couleurs. Elle veut être Maurice Denis, Mathurin Meheut, Yvonne Jean-Haffen. Elle se met au travail. Et voici des bleus nostalgiques, et voici des verts prometteurs, des verts sombres, des verts tendres, des verts qui font frémir le regard et des jaunes soleil qui éclatent après l’inattendu d’une giboulée. 
 
Epuisée, apaisée, elle a levé les voiles de la grisaille. Elle a rejoint les bras de cristal de la beauté. 
A peine perçoit-elle une voix aimée. 
- Maman, maman, où es-tu ? Je ne te vois pas. 
 
Il s’avance, interdit. Vision de rêve. Plaisir de la beauté. Frisson de l’inattendu. Tous les influx de la tendresse, de la poésie, de l’inattendu se bousculent dans son jeune corps émerveillé. 
 
Son imagination et ses souvenirs se mêlent pour embarquer sur un imaginaire navire d’or qui aborde sur une plage aux reflets irisés. Le chant des couleurs, toujours inattendu, toujours renouvelé de « sa » Bretagne tant chérie explose en bleus suaves, en bleus profonds, en jaunes évanescents, en traces de verts subtils. 
- Oh ! Maman, qu’as-tu fait ? 
 
Devant lui, disparu le mur peint et oubliée la porte - fenêtre ouvrant sur le balcon. Une vague déferlante s’élance jusqu’au plafond, un soleil discret semble hésiter à émerger ou à glisser dans les flots. Un phare, esquissé plus loin, dans l’angle du mur, cligne d’un œil bienveillant. La jetée est déserte. La mer aux reflets indécis se mêle au soleil dans un soir de silence. 
- Oh ! Maman. 
 
Il prend son harmonica et décline des notes qui emplissent le cœur d’une liqueur d’or. 
Dans le soir d’une tiédeur d’émeraude, elle psalmodie au rythme d’une imaginaire nuit étoilée : 

Comme dans un long – long - rêve 
J’allais - inondée de la mélancolie de la grève 
Passante - légère - invitée par la mer 
J’ai vu - éblouie - le feu de ciels éphémères 
 
Une ombre douce - douce - de nuages 
A salué - langoureux - mon lent voyage 
Les rivages du miroir de l’imaginaire 
Se sont reflétés dans l’extraordinaire 
 
D’un halo fugace de lumière - palpitant 
Sur les ailes du vent - célébrant 
Par bouffées odorantes le souffle de la vie 
Et la beauté fragile d’un chagrin enfui 
 
Dans les vagues vacillantes et diverses 
Les ténèbres ont effacé un soleil à la renverse - 
Sur la plage endormie - déserte et nue - 
A flotté le charme d’un tableau disparu 
 
Il ne joue plus. Elle ne parle plus. Ils regardèrent longtemps, longtemps l’alchimie des verts scintillants, des bleus grisés, des jaunes orangés d’une mer dont la beauté était à portée de leurs lèvres et le sel au bord de leurs cils humides.